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Iran : une innocente contre un assassin ou la récompense du terrorisme

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ImageLe Monde: Point de vue par Ladan Boroumand* – Le 22 septembre 2009, la presse faisait état de "tractations secrètes" pour la libération de Clotilde Reiss, une jeune Française, prise en otage par la République islamique d’Iran (RII), en échange de la libération d’Ali Vakili Rad, un Iranien qui purge une peine de prison à vie en France. Ali Vakili Rad est un des membres du commando qui a assassiné, le 6 août 1991, l’ancien premier ministre iranien Chapour Bakhtiar et son jeune secrétaire, Sorouche Katibeh.

Bakhtiar, opposant laïc et démocrate au régime du Chah, avait accepté, en janvier 1979, le poste de premier ministre pour tenter, au nom et avec la démocratie, d’endiguer la vague déferlante de l’islamisme sur l’Iran. Sa nomination avait été bien tardive et son gouvernement, renversé le 11 février 1979, n’avait duré que trente-sept jours. Entré dans la clandestinité après la victoire de la révolution islamique, Bakhtiar avait choisi la France comme terre d’asile.

Un courriel relatant les manifestations populaires de juin 2009, dont elle avait été témoin en Iran, c’est le crime reproché à Clotilde Reiss. Ali Vakili Rad, lui, a sauvagement poignardé à mort une des grandes figures de l’histoire iranienne. Clotilde Reiss est une innocente, Vakili Rad est un assassin.

La nouvelle, qui ne semble guère soulever d’indignation dans l’opinion française, évoque chez nous, qui étions il y a dix-huit ans des réfugiés iraniens, des souvenirs bien douloureux. Un tel échange s’il devait avoir lieu serait une faute politique et morale grave dont les autorités françaises feraient bien de mesurer les conséquences avant de le commettre. Car il est un antécédent tragique à ce genre d’échange et je suis bien placée pour le connaître. Puisque le 16 juin 1991, j’avais déjà pris la plume pour attirer publiquement l’attention des autorités françaises sur les conséquences tragiques d’un échange similaire d’assassins contre des innocents. C’était à peine deux mois après le meurtre, à Paris, de mon père, Abdol-Rahman Boroumand, ami et proche collaborateur de Chapour Bakhtiar et à peine deux mois avant l’assassinat de ce dernier.

Onze ans auparavant, en juillet 1980, le régime iranien, effrayé par la popularité croissante d’un Bakhtiar dont les prophéties sur la nature totalitaire du régime religieux s’étaient avérées tragiquement exactes, avait expédié un commando dirigé par Anis Naccache, terroriste libanais, pour le tuer dans son appartement de Neuilly. A cet attentat Bakhtiar avait échappé de justesse, mais sa voisine et un jeune policier avaient été mortellement blessés et un autre policier paralysé à vie. Naccache et ses complices avaient été jugés et condamnés en France. La République islamique d’Iran n’avait cessé durant toute la décennie quatre-vingt d’exiger leur libération en échange de la libération des otages français détenus au Liban. Objectif que les autorités iraniennes ont fini par atteindre en contraignant la France d’accepter le chantage et de sacrifier le droit et la justice sur l’autel pourri d’une raison d’Etat qui s’avéra bien peu raisonnable à long terme. Naccache fut libéré le 28 juillet 1990 et s’en alla joyeusement en Iran, où il devint un homme d’affaires prospère et d’où il émet aujourd’hui encore son avis d’expert sur les négociations qui portent sur l’échange de Rad contre Reiss.

J’arguais à l’époque qu’il fallait faire le lien entre la libération de Naccache et l’assassinat de deux opposants iraniens, Cyrus Elahi en octobre 1990 et mon père en avril 1991. Ces assassinats, je demandais alors, n’étaient-ils pas un remerciement en bonne et due forme, adressé au gouvernement français par la RII pour la libération de Naccache?  Et en rappelant que ces assassinats n’arrêteront pas la lutte des dissidents pour les droits de l’homme j’affirmais que c’était "à la France, son gouvernement, son chef de l’Etat, de savoir s’ils nous regarderont périr, les uns après les autres, un poignard dans le dos". Je ne fus point entendue.

Il n’y eut point de protestation officielle contre l’assassinat des opposants iraniens. Et donc point de raison pour les commanditaires de Téhéran d’arrêter leurs forfaits. Plus d’un mois plus tard, Bakhtiar, le vieil humaniste iranien et son secrétaire furent assassiné sous le nez de la police française. Contrairement au premier attentat, le gouvernement iranien nia toute responsabilité dans celui-ci comme dans tous les assassinats qui, dans les quinze dernières années du vingtième siècle, éliminèrent les dirigeants de l’opposition iranienne en exil. Une dénégation que les autorités iraniennes viennent de démentir a posteriori en exigeant la libération de leur agent.

Aujourd’hui, dix-huit ans plus tard, je reprends la plume pour lancer un autre cri d’alarme.

En juin dernier, le monde pétrifié fut témoin du soulèvement extraordinaire d’un peuple qui avec grandeur et dignité revendiquait son droit à la liberté. L’image des millions de manifestants pacifiques arracha une fois pour toutes cette ignoble voile de mensonge qui couvrait depuis trente ans la réalité des choses en Iran. Depuis, le flot constant des récits et des images qui nous parvient d’Iran raconte l’histoire sans cesse renouvelée d’une résistance qui refuse de mourir et d’une répression qui se renouvelle chaque jour.

Dans cette épreuve de force qui oppose le gouvernement au peuple, les Iraniens de la diaspora jouent un rôle de premier plan, ce sont eux qui alertent le monde entier, qui traduisent et diffusent les messages venus d’Iran, qui transmettent les informations vitales lorsque toutes les voies de communication sont bloquées à l’intérieur du pays. Ce sont eux encore qui transmettent à leurs compatriotes les sympathies indispensables de la communauté internationale. Si par les bastonnades, les arrestations, les viols, les confessions forcées et les assassinats, les dirigeants de Téhéran croient pouvoir signifier qu’ils sont les maîtres absolus du corps et de l’âme de leurs citoyens, que dis-je de leurs sujets, ils n’ont en revanche que peu de prise sur les millions d’Iraniens qui ont voté avec leurs pieds il y a des années et qui ne dépendent plus de leurs anciens persécuteurs. Alors ils brandissent la menace du châtiment extrajudiciaire qu’il ne faut point prendre à la légère.

En effet le 4 novembre 2009, alors que des dizaines de milliers de personnes manifestaient en faveur de la liberté des élections en Iran, Massud Jazaeri, le vice-commandant à la propagande et aux affaires culturelles du haut commandement des forces armées de la RII, menaça explicitement les dissidents qui soutiennent depuis l’étranger le mouvement populaire. Il affirma que la réaction du gouvernement n’épargnerait pas ceux qui de l’extérieur du pays viennent en aide aux séditieux de l’intérieur. C’est dans ce contexte que l’échange de Clotilde Reiss contre Vakili Rad doit être fermement rejeté par les autorités françaises. Un tel échange, s’il avait lieu, mettrait en danger la vie des dissidents iraniens en France comme l’a fait la libération d’Anis Naccache en 1990. Je ne doute guère, vu l’étendue des échanges commerciaux entre l’Iran et l’Union européenne, que les autorités françaises et européennes trouveront à leur disposition suffisamment d’arguments pour obtenir la liberté de la jeune femme innocente, sans mettre en jeu la vie des dissidents iraniens.

Je m’adresse donc solennellement au président de la république française pour le conjurer de ne pas ignorer mon appel comme l’a fait un de ses prédécesseurs en 1991, et de ne pas mettre en danger la vie des dissidents en récompensant un acte terroriste par la libération d’un assassin.

* Ladan Boroumand est historienne, directrice de recherche à la Fondation Abdorrahman-Boroumand. Contact : Human Rights & Democracy for Iran.

08.12.09

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