The New York Time, Bagdad, 29 janvier Par James Glanz Lambassadeur dIran à Bagdad a présenté dimanche un projet ambitieux visant à étendre significativement ses liens économiques et militaires avec lIrak, avec par exemple limplantation de la filiale dune banque nationale iranienne au cur de sa capitale, au moment où ladministration Bush avertit les Iraniens de cesser dintervenir dans les affaires irakiennes.
Le projet iranien, comme la souligné lambassadeur, a le potentiel dintensifier le conflit ici entre lIran et les États-Unis, qui gardent en détention plusieurs agents iraniens depuis ces dernières semaines et affirment posséder la preuve de la complicité de lIran dans des attaques contre les forces américaines et irakiennes.
Lambassadeur Hassan Kazemi Qomi a déclaré que lIran était prêt à offrir au gouvernement irakien un entraînement de ses forces, des équipements et des conseils pour ce quil a désigné de « combat pour la sécurité ». Dun point de vue économique, a affirmé M. Qomi, lIran est prêt à assumer une responsabilité majeure en Irak dans la reconstruction, là où les États-Unis ont échoué depuis que les forces menées par lAmérique ont renversé Saddam Hussein il y a presque quatre ans.
« Nous avons de lexpérience en matière de reconstruction daprès-guerre », a avancé M. Qomi, en référence à la guerre Iran-Irak qui a eu lieu dans les années 1980. « Nous sommes prêts à transmettre notre expérience aux Irakiens en matière de reconstruction. »
M. Qomi a également reconnu pour la première fois, que les deux Iraniens capturés puis libérés par les forces américaines le mois dernier étaient de hauts responsables de la sécurité, comme lavaient annoncé les États-Unis. Mais il a expliqué quils étaient engagés dans des pourparlers légitimes avec le gouvernement irakien et quils nauraient pas dû être arrêtés.
Les commentaires de M. Qomi, tirés dune interview de 90 minutes autour dun thé et de pistaches ici à lambassade dIran, constituent la réponse la plus officielle et la plus sérieuse jamais fournie par les Iraniens aux accusations de plus en plus belliqueuses de ladministration Bush, selon lesquelles lIran agit contre les intérêts américains en Irak.
Le président Bush a annoncé que larmée américaine était autorisée à prendre toutes les mesures nécessaires en Irak contre les Iraniens suspectés de mener des actions jugées hostiles.
Lambassadeur iranien a soudain accepté cette interview demandée il y a longtemps et à plusieurs reprises après la première arrestation dIraniens par les Américains le 21 décembre, et semblait désirer vivement réfuter ces accusations.
Le conflit politique et diplomatique qui a suivi le raid du 21 décembre jusquà leur libération neuf jours plus tard, a contribué, aux côtés du différend autour du programme nucléaire iranien, à aggraver les tensions entre les États-Unis et lIran. Ce mois-ci, les forces américaines ont arrêté cinq autres Iraniens dans un raid contre un bureau diplomatique situé dans la ville dErbil, au nord de lIrak.
Tout en divulguant très peu de détails, les États-Unis affirment que les preuves rassemblées lors du raid de Bagdad, dans la résidence dun leader chiite irakien, indiquaient que les Iraniens étaient impliqués dans lorganisation dattaques.
On ne sait pas exactement si M. Qomi suit les instructions de son gouvernement dans son interview, en rejetant avec mépris les accusations de lAmérique et en retenant quelques sarcasmes.
Il a tourné en dérision les preuves que larmée américaine dit avoir découvertes, telles que des cartes de Bagdad délimitant des quartier chiites, sunnites ou mixtes, cartes qui selon les hauts responsables américains, pourraient être utilisées par les milices engagées dans un massacre ethnique. M. Qumi a affirmé que ces cartes étaient si communes et si facilement accessibles quelles ne prouvaient rien.
Il a refusé de dire sil croyait que ces cartes présentaient des marquages sectaires ou si elles se rapportaient à dautres preuves trouvées par les Américains, comme des manifestes darmes et déquipements liés à la technologie de bombes de bord de route sophistiquées. Mais ce nest pas la raison pour laquelle les Iraniens se trouvaient à cet endroit, a-t-il dit.
« Ils travaillent dans le secteur de la sécurité pour la République islamique, cest clair », a affirmé M. Qomi, en référence à lIran. Mais il a ajouté que ces hommes étaient en Irak parce que « les deux pays sétaient mis daccord pour résoudre les problèmes de sécurité ». Les Iraniens « étaient venus rencontrer le camp irakien », a-t-il affirmé.
Avec surprise, M. Qomi a annoncé que lIran allait ouvrir prochainement une banque nationale en Irak, créant ainsi une nouvelle institution financière iranienne juste sous les yeux des Américains. Un haut responsable bancaire irakien, Hussein al-Uzri, a confirmé que lIran avait reçu lautorisation douvrir cette banque, qui serait apparemment selon lui la première « filiale bancaire à cent pour cent » dun pays étranger en Irak.
« Cela va encourager le commerce entre les deux pays », a affirmé M. Uzri.
M. Qomi a déclaré que cette banque ne serait que la première en Irak et quil y en aurait dautres : une banque agricole et trois banques privées ont également lintention douvrir leurs filiales. Dautres éléments de cette nouvelle coopération économique, dit-il, prévoient des livraisons de kérosène et délectricité de lIran à lIrak, ainsi quune nouvelle coopérative agricole impliquant les deux pays.
Il na donné aucun détail de loffre dassistance militaire faite par lIran à lIrak, mais a affirmé que celle-ci prévoyait un renforcement des patrouilles frontalières et la création dun nouveau « comité conjoint de sécurité ».
Toute assistance militaire iranienne à lIrak présenterait des difficultés multiples. En plus de soulever lobjection américaine, une telle assistance pourrait contribuer à aliéner encore plus les Arabes sunnites, dont un grand nombre suspectent déjà lIran, majoritairement chiite, dencourager le gouvernement irakien à majorité chiite à les persécuter.
Plusieurs hauts responsables américains et irakiens ont déclaré dimanche quil était difficile de répondre aux déclarations de M. Qomi avant quelles ne soient communiquées par voie officielle. Le porte-parole de lambassade américaine à Bagdad, Lou Fintor, a refusé de répondre à ces commentaires.
Sean McCormack, porte-parole du Département dEtat américain, a affirmé dimanche que les Etats-Unis détenaient un nombre suffisant de preuves indiquant la participation de lIran dans des attaques sectaires en Irak. « Nous arrivons à un haut degré de certitude grâce aux informations que nous détenons déjà, et nous en accumulons constamment dautres », a affirmé M. McCormack.
Il na pas évoqué les détails des propos de M. Qomi sur lintention
iranienne de renforcer ses liens économiques et sécuritaires, mais a affirmé
que lIran jouait actuellement « un rôle négatif à bien des égards » dans le
pays.
Les dirigeants irakiens ont également répondu quils ne pouvaient pas commenter des programmes spécifiques, tant quils nen auraient pas vu le détail, mais ont exprimé une variété de points de vue sur le renforcement des liens du pays avec lIran.
« Nous accueillons à bras ouverts toutes initiatives de participation au processus de reconstruction », a affirmé Qasim Daoud, ancien conseiller à la sécurité nationale, désormais député chiite laïc au Parlement. « Selon moi, notre alliance stratégique se fait avec les Américains, mais en même temps, nous recherchons la participation de tout autre pays qui aimerait participer », a affirmé M. Daoud.
Barham Salih, vice-Premier ministre, kurde et dont la responsabilité englobe les questions économiques, a bien plus nettement désiré évoquer la critique de M. Qomi de la présence américaine.
« Dans lintérêt national de lIrak, nous devons maintenir de bonnes relations avec lIran ainsi quavec nos autres voisins, mais cela nécessite le respect de la souveraineté irakienne », a déclaré M. Salih.
M. Qomi sest exprimé en persan pendant une grande partie de linterview, mais passait de temps à autre à langlais lorsquil voulait être certain que son message passe avec force.
Bien que M. Qomi nait pas pris connaissance des questions spécifiques qui allaient lui être posées lors de lentretien, il avait été informé des sujets généraux qui seraient abordés et semblait prêt à y répondre avec des réponses détaillées. Il paraissait tenir à transmettre la position de son gouvernement sur ce qui sest passé à laube du 21 décembre, lorsque les forces américaines ont fait une descente à Bagdad chez Abdul Aziz al-Hakim, un des plus puissants leaders chiites dIrak, qui avait voyagé à Washington trois semaines plus tôt pour rencontrer le président Bush.
Les Iraniens ont été capturés au domicile de Hadi al-Ameri, qui a deux fonctions importantes : il est président de la commission de la sécurité du parlement irakien et chef de lOrganisation Badr, branche armée du parti de M. Hakim, qui a passé de nombreuses années en exil en Iran.
Bien que les Américains suggèrent que les Iraniens assistent les milices telles que lOrganisation Badr, M. Qomi a affirmé que ses compatriotes traitaient avec M. Ameri en sa qualité de membre du gouvernement.
Il nétait même pas prévu que les Iraniens passent la nuit là-bas, mais leurs affaires se sont prolongées et ont dépassé lheure du couvre-feu et, comme un grand nombre dhabitants de Bagdad dans la même situation, ont dû passé la nuit sur place, a expliqué M. Qomi.
M. Qumi a vivement recommandé aux États-Unis de ne pas aggraver les tensions dans ce quil a qualifié de « dossier nucléaire » en Irak. « Nous navons pas besoin que lIrak paye pour notre animosité envers les Américains », a-t-il ajouté.
Linterview touchant à sa fin, M. Qumi a adressé une dernière remarque aiguisée aux Américains. Si lIran a le droit de mener des activités de reconstruction en Irak, a-t-il dit, alors toutes les sociétés internationales de construction sont les bienvenues. « Encouragez les sociétés américaines à venir ici », a-t-il dit.
Abdul Razzaq al-Saiedi a contribué à cet article depuis Bagdad ainsi que Mark Mazzetti depuis Washington.