Libération, Washington, 12 février par Philippe Grangereau – L’Iran a été, preuves à l’appui, accusé pour la première fois d’être derrière les attentats à la bombe en Irak. Des bombes de fabrication iranienne importées illégalement en Irak ont entraîné la mort de 170 soldats américains et alliés depuis juin 2004, a ainsi affirmé, hier à Bagdad, un haut responsable américain.
«L’Iran est impliqué dans la fourniture de projectiles explosifs et d’autres matériaux à des groupes extrémistes irakiens», a indiqué à plusieurs journalistes un haut responsable américain. «Nous estimons que ces activités sont commanditées par les plus hauts niveaux de l’administration iranienne», a-t-il ajouté, affirmant que les Brigades al-Qods rendent compte directement à l’ayatollah Ali Khamenei. Ces responsables ont montré à la presse des photographies de bombes saisies, dont un missile et des engins explosifs, «preuve», selon eux, de leurs assertions.
Ces accusations suivent un renforcement de la présence militaire dans le Golfe. A la fin du mois, le porte-avions américain USS John Stennis devrait ainsi avoir rejoint l’ USS Dwight Eisenhower au large de l’Iran. Ce sera la première fois depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, que deux groupes d’attaque navals seront positionnés simultanément dans le golfe Persique. Ils seront, dès lors, potentiellement en mesure de lancer des centaines de missiles de croisière Tomahawk sur les sites nucléaires iraniens. Un déploiement de forces visant à interrompre le soutien présumé des autorités iraniennes aux milices chiites en Irak. Washington reproche à l’Iran de fournir à ces groupes d’insurgés des fonds, des équipements et des technologies. La Maison Blanche dément, pour l’instant, avoir l’intention d’intervenir militairement sur le territoire iranien.
«DIPLOMATIE». Quelques jours après avoir accusé «le régime iranien» de «financer et armer des terroristes comme le Hezbollah, qui après Al-Qaeda est le groupe terroriste ayant pris le plus grand nombre de vies d’Américains», le président Bush a assuré, le 26 janvier : «Nous croyons que nous pouvons résoudre nos problèmes avec l’Iran par la diplomatie et nous travaillons dans ce sens.» La diplomatie de la canonnière défendue par l’administration républicaine a néanmoins reçu le soutien implicite d’un candidat démocrate à la présidentielle comme John Edwards, pour qui «toutes les options, je dis bien toutes les options, doivent rester sur la table pour s’assurer que l’Iran n’obtiendra jamais l’arme nucléaire». Cette approche risquée laisse perplexes beaucoup d’experts. «Le problème avec cette stratégie est qu’elle peut conduire accidentellement à une confrontation militaire», note Afshin Molavi, de la New America Foundation, à Washington.
«PRESSION». «L’Iran paraît conduire sa politique étrangère avec un triomphalisme dangereux», avait déclaré le directeur de la CIA Michael Hayden, le 25 janvier, tandis que le secrétaire à la Défense Robert Gates, plus pugnace encore, expliquait : «L’Iran croit que nous sommes coincés en Irak, qu’ils ont l’initiative et qu’ils peuvent nous mettre la pression. Nous allons montrer à la région que nous sommes là pour longtemps encore.» Richard Haass, ancien responsable du département d’Etat, estime que la Maison Blanche n’a pas encore choisi entre l’option militaire et l’option diplomatique. Mais d’autres ne sont pas loin de penser que George W. Bush est en quête d’un prétexte pour justifier une frappe contre l’Iran.
Mardi, l’Iran a accusé les Etats-Unis de l’enlèvement, dimanche dernier, du deuxième secrétaire de l’ambassade d’Iran à Bagdad. Le 11 janvier, des soldats américains avaient arrêté cinq employés du consulat iranien d’Erbil, au Kurdistan irakien, et saisi des documents. Un «haut responsable du renseignement» américain, cité par le Washington Post, estime que les Etats-Unis ont pour objectif de «provoquer un conflit inutile» avec l’Iran, en vue de détourner l’attention du problème irakien.
Quelques mois avant l’invasion de l’Irak, alors que les préparatifs étaient très avancés, Bush avait déclaré «ne pas avoir de plans de guerre sur son bureau». Le 30 janvier dernier, le même expliquait : «Certains tentent de me faire dire ce que je n’ai pas dit. Ils disent « Eh bien voilà, ce qu’il essaie de faire en réalité, c’est d’envahir l’Iran. » Personne ne parle de ça.»