La Presse (Canada), 12 juin – Par Laura-Julie Perreault – Son histoire en rappelle une autre qui a fini tragiquement. Comme Zahra Kazemi, Mehrnoushe Solouki est une Montréalaise d’origine iranienne qui s’est rendue en reportage dans son pays natal. Comme Zahra Kazemi, elle a été arrêtée et envoyée à l’infâme prison d’Evin, où elle a été longuement interrogée.
Mais, contrairement à Zahra Kazemi, qui est morte pendant son incarcération à Téhéran en 2003, Mehrnoushe Solouki est toujours en vie. Elle a même été libérée, moyennant une caution de plus de 115 000$CAN. Maintenant, elle ne demande qu’une chose: quitter l’Iran le plus vite possible pour échapper à la justice arbitraire du régime des ayatollahs.
Mais la république islamique lui a pris son passeport iranien, l’empêchant du coup de partir.
Ses amis montréalais, qui sont longtemps restés discrets parce qu’ils craignaient de nuire à la documentariste de 38 ans s’ils ébruitaient son histoire, s’inquiètent. Son cauchemar dure depuis cinq mois, et ce, même si aucune accusation n’a été déposée contre elle.
Mme Solouki s’est rendue en Iran en décembre 2006 pour réaliser un documentaire sur la répression politique qui a suivi la fin de la guerre Iran-Irak en 1988. Elle avait obtenu sa carte de membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ainsi que les autorisations du ministère de la Guidance islamique, en Iran, chargé de superviser le travail des journalistes. Le 17 février, les autorités iraniennes l’ont arrêtée et ont saisi une série de cassettes qu’elle avait tournées au cours des mois précédents.
Le mois que Mme Solouki a passé en prison l’a profondément marquée, selon les Montréalais qui maintiennent un contact avec elle. Dans un courriel envoyé à des proches, que La Presse a obtenu, elle explique qu’elle a été gardée en isolement pendant 32 jours dans une pièce complètement vide où une lampe fluorescente était allumée en permanence. Elle a été relâchée le 19 mars mais doit fréquemment répondre aux questions des forces de l’ordre, qui la maintiennent sous surveillance.
«Nous avons eu des nouvelles le week-end dernier. Sa santé semble se détériorer. Ses parents, avec qui elle vit en ce moment, aimeraient qu’elle quitte l’Iran le plus tôt possible», a expliqué hier à La Presse Olivier Asselin. Réalisateur et professeur à l’Université de Montréal, M. Asselin a connu Mme Solouki en 2005 alors qu’elle était inscrite à la maîtrise en études cinématographiques.
À Montréal, la mobilisation pour celle qui est aussi étudiante au doctorat à l’UQAM se met en branle. Le cinéaste et producteur Denis McCready, qui a aussi côtoyé Mme Solouki à Montréal, prépare un site Internet et un communiqué. «Tout ça a l’air d’un immense malentendu et d’un excès de zèle de la part des autorités iraniennes», dit-il.
De son côté, la FPJQ étudie le dossier de Mme Solouki pour voir s’il y a matière à intervenir.
L’organisation Reporters sans frontières, en collaboration avec Amnistie internationale, a envoyé le 5 mai dernier une lettre à l’ayatollah Sharoudi, responsable du système judiciaire iranien, lui demandant de permettre à Mme Solouki de quitter l’Iran. Leur lettre est restée sans réponse.
En mauvais termes avec l’Iran depuis le décès de Zahra Kazemi en juillet 2003, les autorités canadiennes ne se sont pas encore mêlées de cette affaire. Mme Solouki a le statut de résidente permanente au Canada, mais elle est citoyenne de l’Iran et de la France. RSF a demandé au gouvernement français d’agir. «Comme Zahra Kazemi, Mehrnoushe Solouki a une double citoyenneté. Le gouvernement iranien ne reconnaît pas sa citoyenneté française», a précisé hier Émily Jacquard, de Reporters sans frontières Canada.