IranFemmesLes filles tankistes : les féministes du front

Les filles tankistes : les féministes du front

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The Independent : 28 décembre 2004 – Ces femmes sont venues du monde entier pour renverser les ayatollahs iraniens. Aussi pourquoi ont-elles été bombardées par l’occident ? Christine Aziz a visité leur QG du désert.

Alors que les bombes de la coalition tombaient sur les plaines salées de la frontière du nord-est de l’Irak, des membres d’une armée peu connue dirigée par des femmes se blottissaient dans un bunker. Pendant que des secousses faisaient trembler la terre et que la poussière retombait à flots sur les foulards kaki soigneusement noués, Laleh Tarighi, 25 ans, et ses compagnes de combat, essayaient de se protéger.

Dix-huit mois plus tard, se rappelant la peur d’être attaquée par les bombardiers américains et britanniques durant l’invasion de l’Irak l’an dernier, Tarighi, une ancienne élève du lycée de Parkside et de Hill Road à Cambridge, déclare : « Nous étions plus perplexe qu’effrayées. Nous savions que nos officiers avaient envoyé des messages au Pentagone insistant sur notre neutralité et que nous ne devions pas être attaqués. Nous n’étions en Irak que pour renverser le régime intégriste islamique de l’autre côté de la frontière en Iran. »

Il est difficile d’imaginer que Laleh Tarighi a été une adolescente typiquement britannique qui adorait aller au cinéma et nouer des relations dans les cafés. Peu de ses amis savaient que lorsqu’elle était enfant en Iran, son père avait été exécuté parce qu’il appartenait à la résistance iranienne, et que sa mère était un officier supérieur de l’Armée de libération nationale iranienne (ALNI). Après son bac, Laleh Tarighi avait l’intention d’étudier le journalisme à l’université, mais à l’âge de 18 ans, elle a décidé d’abandonner le confort du domicile qu’elle partageait avec sa tante et de rejoindre sa mère dans une base militaire de l’ALNI sur la frontière irano-irakienne.

L’ALNI est la branche militaire du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), un parlement iranien en exil, dominé par des femmes, dont le but est de renverser le régime intégriste islamique et de le remplacer par un gouvernement démocratique et laïc. Le CNRI est dirigé par une Iranienne charismatique, Maryam Radjavi, 53 ans. Elle est entourée d’un système de sécurité renforcé par peur des tentatives d’assassinats, et elle apparaît très rarement en public. Son organisation a conservé un profil bas jusqu’à ce qu’elle commence récemment à partager des informations sur le programme nucléaire de l’Iran avec l’Amérique et l’Europe.

Mais malgré cette coopération, l’ALNI est toujours considérée comme une organisation terroriste par l’occident. Les forces de la coalition en Irak ont limité ses 3800 membres dans leurs bases et ont confisqué leurs armes. Les femmes constituent jusqu’à 30 % de l’ALNI, mais 70% des officiers sont des femmes. L’Armée britannique n’a qu’une femme générale et la Marine en compte quatre, capitaines.

Radjavi encourage depuis longtemps la participation des femmes dans l’armée. Elle estime que puisque la misogynie constitue la base du gouvernement iranien, qui mieux que les femmes peuvent le frapper ? Ses recrues féminines, dont beaucoup ont été torturées et emprisonnées en Iran, s’entraînent aux côtés des hommes dans tous les domaines du combat au front, y compris le corps-à-corps et les opérations de blindés. Avec le soutien de riches Iraniens en exil, elles se préparent pour le jour où il faudra marcher vers l’est et passer la frontière pour libérer leur pays.

Laleh Tarighi est une des centaines d’enfants d’Iraniens exilés en Europe, en Amérique et au Canada qui ont rejoint comme volontaire l’armée depuis sa création en 1987, quand Saddam Hussein avait permis à l’ALNI de construire ses bases le long de la frontière iranienne. Jusqu’à la chute de Saddam en mars de l’an dernier, l’ALNI a pu construire sa force militaire sous l’œil attentif de son hôte.

Quand Laleh Tarighi est arrivée en Irak en 1997, elle avait encore un piercing sur la langue et portaient des vêtements très différents de l’uniforme féminin de l’armée composé d’un foulard kaki, d’un haut et d’un pantalon de combat et de godillots. Ce n’était pas sa première visite à la base Ashraf de l’ALNI ; lorsque la mère et la fille s’étaient échappées en 1987, elles s’étaient enfuies vers cette base, où elles ont vécu quatre ans.

La guerre du Golfe en 1991 a fait que tous les enfants de la base ont été évacués vers des familles d’accueil en occident. « J’ai grandi à Cambridge dès l’âge de 10 ans. Ma vie se passait surtout là-bas, dit Tarighi. Quand j’ai passé mon bac, j’ai décidé de passer une année sabbatique en France avant de rejoindre l’université. »

Mais j’ai appris que ma mère m’avait envoyée une lettre, par le biais des bureaux du CNRI à Paris. C’était la première lettre que je recevais depuis très longtemps et elle était pleine d’affection. J’ai parlé aux membres du CNRI et j’ai décidé de partir pour rejoindre ma mère. Nous ne nous étions pas vu depuis huit ans. Je l’ai reconnue immédiatement, mais elle ne m’a pas reconnue. Je ressemblais à une autre fille anglaise et elle n’appréciait pas vraiment mon piercing à la langue.

Au début, ça a été difficile de revivre dans la base et beaucoup de choses me manquaient, spécialement, croyez-moi si vous voulez, le climat britannique. J’adore la pluie et il n’y en avait pas beaucoup en Irak. Mais ce sont les amies que je me suis faite dans la base et le soutien et l’encouragement que j’ai reçu qui m’ont fait avancer. J’ai appris à marcher au pas et à me servir d’une Kalachnikov. Je n’avais jamais vu de fusil en Grande-Bretagne. Je n’ai pas rejoint l’ALNI pour ma mère, mais pour l’Iran. Le régime a assassiné mon père, et ma grand-mère a été plusieurs fois emprisonnée. J’ai la Résistance dans le sang.

Ashraf est une oasis de 36 kilomètres carrés, propre, ordonnée et impeccablement entretenue. A première vue, on a l’impression qu’il s’agit d’une colonie de vacances plutôt que d’une base militaire. Des rangées d’arbres d’eucalyptus bordent les routes, hommes et femmes s’occupent soigneusement des jardins et on sent l’odeur du pain qui vient de la boulangerie. Depuis que Laleh Tarighi est arrivée au camp en 1997, une piscine et une salle d’exposition y ont été construites.

Mais durant la même période, le cimetière, décoré avec des fleurs artificielles, s’est agrandi. Ces derniers dix-huit mois, quarante combattants ont été tués lors d’attaques des forces de la coalition mais aussi dans des assauts des gardiens de la révolution iraniens qui ont profité du chaos en Irak pour franchir sans difficulté la frontière et s’infiltrer en Irak. Les chars d’assaut et les pièces d’artillerie de l’ALNI qui par le passé protégeaient la base ont disparu. A leur place, maintenant c’est la police militaire américaine qui contrôlent l’entrée et qui patrouille autour du camp à bord des véhicules blindés.

Peu après les bombardements, à cause de l’insécurité grandissante qui sévit en Irak, Laleh Tarighi a quitté la base. Maintenant, elle travaille dans des bureaux du NCRI à travers l’Europe, elle éprouve encore de la nostalgie pour sa vie de combattante. Mais une autre fille ayant grandi au Royaume Uni, Charobeh Barooti, 19 ans, y est restée. Elle fait partie des centaines de combattants demeurant à Achraf possédant des passeports européens ou une carte de résident d’un pays européen. Née en France, Charobeh Barooti est une enfant unique dont les parents font partie de la résistance iranienne. Elle ne sait pas où se trouvent ses parents mais de temps à autre, elle reçoit des lettres de leur part.

Charobeh Barooti est venue au Royaume Uni en 1991 pour vivre avec sa tante et son oncle. A ce moment là, elle avait n’avait que 15 ans et étudiait au lycée d’Edgware situé au nord de Londres. Elle a su qu’elle voulait rejoindre l’ALNI. « En entendant ce que me disaient ma tante et mon oncle, je savais beaucoup de choses sur le régime iranien et j’ai commencé à me dire que je devais faire quelque chose. Je suis allée au bureau de NCRI à Londres et je leur ai dit que je voulais les rejoindre. Ils m’ont donné un certain nombre d’information et se sont occupés des formalités de mon voyage à Bagdad. » Elle a laissée tomber ses études et elle est partie en Irak où elle a rencontré les membres de l’OMPI (l’organisation des Modjahedines du peuple, le groupe le plus important parmi les organisations membres du CNRI). Ensuite, elle a été conduite à la base Achraf.

Assise sur une chaise dans la bibliothèque de la base, elle se rappelle ses amis anglais qui considéraient sa décision de partir en Irak comme une folie. « Après tout, en Grande-Bretagne, les familles ne sont pas décimées, les gens ne sont pas torturés et les femmes peuvent faire ce qu’elle veulent », mais elle ajoute : « en Iran, les femmes sont soumises à beaucoup de restrictions, elles sont quotidiennement réprimées et humiliées ».

« Quand je suis arrivée ici, la chose la plus dure pour moi c’était d’obéir aux différentes règles. La vie d’ici était tellement différente de ma vie à Londres. Pendant une année, j’ai pensé à l’avenir que j’aurais pu avoir en Grande-Bretagne en le comparant avec l’avenir que j’aurais en restant ici. J’avais envisagé de voyager autour du monde et d’ouvrir une galerie d’art. »

Plusieurs semaines après la chute de Saddam, le général américain Ray Odierno, commandant de la 4ème division d’infanterie, est entré à la base Achraf pour négocier le désarmement de l’ALNI. Ce général américain s’est retrouvé tout d’un coup dans une chambre royale, luxueusement décoré de tapis persan, il a bu du café servi dans de la porcelaine doré de Chine et a mangé des pâtisseries maison en compagnie des commandantes de l’ALNI, des femmes que son gouvernement considère comme des terroristes.

En 1997, le Président Bill Clinton, dans un geste de bonne volonté vis-à-vis de Mohammad Khatami, le président nouvellement élu de l’Iran, a déclaré que l’OPMI et l’ALNI étaient des organisations terroristes. Ces derniers temps, on a entendu parler d’une possible utilisation de l’ALNI par Washington, d’autant plus que les relations entre l’Iran et les Etats-Unis sont très tendues à cause de l’ingérence de Téhéran dans les affaires intérieures de l’Irak. Après sa visite à la base Achraf, le général américain, visiblement impressionné, a déclaré que le statut des combattants de l’ALNI, accusés de terrorisme, devrait être révisé.

Les combattants désarmés de l’ALNI continuent à se former en utilisant des ordinateurs, et la police militaire américaine dans le camp constitue leur seule protection face à d’éventuelles attaques de groupes soutenus par Téhéran qui circulent maintenant librement sur tout le territoire irakien. « Si les Américains ne les protégeaient pas, il y aurait un bain de sang » dit le capitaine Ismaël Ibrahim, du parti du Rassemblement national irakien.

Depuis le 2 juillet 2004, les membres de l’ALNI ont le statut de personnes protégées par la quatrième convention de Genève (concernant la protection des civils en temps de guerre). Depuis lors, ils se sentent davantage en sécurité. Ils ne risquent plus d’être extradés par les Américains vers l’Iran en échange des membres de haut rang d’Al-Qa’ida. Le capitaine Ibrahim ajoute : « Je pense que dans quelques années, les Américains envisageront de faire en Iran ce qu’ils ont fait en Afghanistan et en Irak. Pour cela, ils essayeront d’utiliser l’OMPI et l’ALNI. »

Ce scénario n’est pas celui que souhaite la résistance iranienne, mais à long terme, un changement de politique américain dans ce sens pourrait aider l’ALNI et l’OMPI à se débarrasser de leur étiquette de terroriste. En mai 2000, la Grande-Bretagne a inclu l’OMPI dans une liste qui contient le nom de 21 organisations terroristes. Un an après, l’Union Européenne a inscrit l’OMPI dans sa liste des organisations terroristes.

Mojgan Parsaï, secrétaire générale de l’OMPI, a déclaré au mois d’octobre : « Dès le départ, l’étiquette de terroriste accolée à l’OMPI n’avait aucune base juridique. On nous a mis sur des listes noires dans le cadre de négociations commerciales et politiques avec Téhéran. » Elle ajoute : « Il a été révélé que la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont promis à l’Iran que si ce pays prenait des mesures pour arrêter son programme d’achèvement du cycle du combustible nucléaire, les pays européens continueront à considérer l’OMPI comme une organisation terroriste. »

Lors d’une conférence qui a réuni le mois dernier à Paris un grand nombre d’avocats et d’activistes des droits de l’homme, Bill Bowring, professeur des droits de l’homme et de droit international à l’université métropolitaine de Londres, a déclaré : « selon la définition suggérée par la loi britannique sur le terrorisme, les noms de Greenpeace et d’Amnesty International devraient aussi figurer sur la liste des organisations terroristes. La décision d’inclure l’OMPI dans cette liste a été une décision totalement arbitraire ».

Anne Land, avocate danoise et activiste des droits de l’homme a également participé à cette conférence. Au début de l’année, elle a visité la base Achraf. Elle sait que le CNRI a été accusé par ses adversaires d’être un secte et que certains considèrent l’ALNI et le CNRI comme étant militairement et politiquement inefficaces.

« La véritable importance de cette armée n’a pas été assez prise en considération, dit-elle. En Irak, dans le passé beaucoup de femmes pouvaient aller à école et à l’université, elles pouvaient travailler et s’habiller comme elles le voulaient. Maintenant, elles sont l’objet d’actes d’intimidation dans les rues, les intégristes les considèrent comme des coupables, coupables de ne pas couvrir leurs corps ou coupables simplement d’être hors de chez elles. Des groupes d’hommes fortement influencés par des intégristes iraniens et qui se disent partisans de tel ou tel groupe politique et religieux en Irak, sont en train de rendre la vie insupportable aux femmes irakiennes ».

« La présence d’une armée dirigée par des femmes prêtes à combattre les mollahs et les gardiens de la révolution iraniens est hautement symbolique pour toutes les femmes ce cette région. Il ne faut pas chercher la force de cette armée uniquement dans ses capacités militaires. L’existence même d’une telle armée et le fait qu’elle constitue une menace sérieuse pour tous les régimes intégristes dominés par des hommes est un message d’espoir pour les femmes car cela montre que les femmes sont capables. »

Land ajoute : « Les femmes résidant à Achraf disent qu’elle ne veulent pas quitter ce camp avant d’avoir renverser le régime des mollahs en Iran. Le courage de ces femmes aura une influence très large et doit être une source d’inspiration pour toutes les femmes bien au-delà des frontière de l’Iran. »

C’est la façon dont le régime des mollahs traitent les femmes qui a incité Charobeh Barooti et Laleh Tarighi à rejoindre l’ALNI. « Ma tante m’a souvent expliqué comment les gardiens de la révolution en Iran arrêtent les femmes dans les rues et effacent leur rouge à lèvres avec la lame d’un couteau » indique Charobeh Barooti.

Tarighi dit qu’elle ne peut pas oublier les images horribles de jeunes femmes ayant son propre âge qui ont été enterrées jusqu’au cou, puis lapidées à la mort par la foule. Elle nous interroge: « Pourquoi suis-je considérée comme une terroriste ? Parce que je me bats pour défendre les droits de mes soeurs ? »
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