Iran Focus, Chiraz, 2 juin – Mohsen frise la soixantaine, un visage oblong, un nez qui nen finit pas, et des yeux au regard éteint. Du reste tout dans Mohsen fait penser à une ombre. Sa manière de chuchoter plutôt que de parler. Son économie de mouvement et cette manière de glisser quand il se déplace. On le confond presque avec le décor.
On ne sait pas si cest cette attitude qui lui a permis de se maintenir à son poste de professeur à la faculté de médecine de Chiraz, où si ce sont les durs aléas de la vie universitaire en Iran qui lui ont appris cet art du camouflage.
Tout au long de la conversation, la voix de Mohsen reste égale, quil sagisse de la dégradation des conditions détudes et denseignement, de la présence des Bassidji, les forces paramilitaire, sur les campus, de ses fins de mois difficiles et des heures de garde quil fait dans un hôpital pour joindre les deux bouts, de la vague de froid qui a traversé le pays, ou du dernier roman « Le Zahir », de Paolo Coelho quil a lu sous le manteau puisquil vient dêtre interdit en Iran.
Le seul moment où une flamme jaillit dans les yeux de Mohsen, cest quand il aborde la candidature de Moïne à la prochaine présidentielle. Le ton monte dun cran. « Tous ceux qui enseignent à luniversité savent parfaitement que Moïne est dans toutes les décisions de purges qui ont touché les enseignants au début de la révolution. »
On se souvient que sous prétexte dune « révolution culturelle », lintégrisme qui navait pas encore pris la totalité du pouvoir au début de 1980, avait lâché ses troupes idéologiques sur les universités, en mai de cette année, faisant des dizaines de mort et de blessés. Khomeiny avait ensuite fermé les universités pendant trois ans.
« Durant cette période, Moïne a été un des principaux responsables des purges et comme président de luniversité de Chiraz à lépoque, il est responsable de lexpulsion de nombreux étudiants, opposés au pouvoir religieux. Beaucoup ont été arrêtés et exécutés dans les exécutions de masses qui ont débuté fin juin 1981. »
Mohsen fulmine. Un éclair de colère passe dans ses yeux et sa lèvre tremble légèrement. « Javais cinq étudiants exceptionnellement brillants. Cinq jeunes avec le cur sur la main. Ils ne supportaient pas le hezbollah, les matraqueurs de Khomeiny. Ils ont été les premiers à être expulsés. Ils ont été fusillés en septembre 1981. »
« Moïne fait partie du conseil suprême de la révolution culturelle », lâche Mohsen en faisant une moue de dégoût. « Cest ce conseil qui a revu lensemble du contenu des cours pour leur donner leur aspect intégriste, et cest encore lui qui a élaboré tous les interdits et toutes les règles répressives qui étranglent la vie universitaire. Ce nest pas pour rien si les étudiants se débrouillent pour empêcher Moïne de faire sa campagne dans les universités. Il y a un passé qui ne soublie pas. »