Le Point, 9 juin – De Pierre Beylau – George Bush a tranché, Condi Rice a gagné. Dans l’épreuve de force qui l’opposait au clan Cheney sur l’Iran, la secrétaire d’Etat l’a, pour l’instant, emporté de haute lutte. Après de difficiles arbitrages, les Etats-Unis endossent officiellement la politique européenne de la carotte et du bâton.
D’un côté, une offre alléchante faite à Téhéran : coopération économique, possibilité d’accéder à des matériels de haute technologie, de moderniser sa flotte aérienne civile, de remettre à niveau son industrie pétrolière. Les Américains acceptent pour la première fois l’idée de fournir à Téhéran une centrale nucléaire à eau légère non proliférante et une sorte de banque de combustible pour l’alimenter. Washington a, en revanche, refusé d’aller aussi loin que les Européens le souhaitaient sur le terrain politique. Le dialogue avec l’Iran est soumis à un préalable : la suspension par Téhéran de l’enrichissement de l’uranium. Voilà pour la « carotte ».
Mais il y a aussi la menace du bâton : si l’Iran refuse et poursuit son programme nucléaire, en violation des recommandations de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), le Conseil de sécurité des Nations unies devra prendre des sanctions.
En adoptant cette stratégie, la Maison-Blanche joue gagnant-gagnant : ou Téhéran entre dans le jeu de la négociation et George Bush pourra se targuer d’un succès, ou l’Iran poursuit l’escalade et portera la responsabilité d’une éventuelle épreuve de force. La démarche est radicalement différente de celle, unilatérale, mise en oeuvre lors de la guerre en Irak : il s’agit d’épuiser les solutions diplomatiques, de cimenter la solidarité occidentale, d’amener Russes et Chinois à cautionner d’éventuelles sanctions, ce qui est loin d’être acquis.
Les Etats-Unis ont de bonnes raisons d’opter pour cette approche, qui a le mérite de laisser du temps au temps : empêtrés dans le bourbier irakien, engagés sur le théâtre d’Afghanistan, ils n’ont aucune envie d’ouvrir un troisième front. Frapper l’Iran, même ponctuellement, risquerait de compliquer encore un peu plus la situation irakienne et de déstabiliser tout le Proche-Orient.
L’Iran, outre l’Irak, a d’indéniables capacités de nuisance, que ce soit au Liban, en Palestine ou dans le Golfe. Téhéran ne peut, en revanche, utiliser l’arme du pétrole qu’avec précaution. L’or noir est vital : il lui procure l’essentiel de ses devises. Bloquer durablement les exportations serait suicidaire. L’Iran doit, de surcroît, faire raffiner à l’extérieur une grande partie du pétrole qu’il consomme pour ses besoins intérieurs, ses installations pétrolières étant largement obsolètes.
L’Iran, pays puissant de 70 millions d’habitants, aurait au fond d’excellentes raisons de négocier avec l’Occident. Mais, entre le pragmatisme et l’emprise idéologique, nul ne peut dire où ira, in fine, le choix stratégique de Téhéran