Le Monde, 25 octobre Par Marie-Claude Decamps – Officiellement, pour Téhéran, la visite du président iranien en Arménie s’est déroulée comme prévu. Pourtant, la déclaration d’officiels arméniens faisant état d' »un retour précipité » de Mahmoud Ahmadinejad en Iran, mardi 23 octobre, dû à « la situation intérieure iranienne », a relancé les spéculations sur les querelles internes du régime iranien.
D’autant que ce retour intervenait trois jours après la démission du négociateur sur le dossier nucléaire, Ali Larijani, remplacé par un diplomate proche du président, Saïd Jalili, ancien pasdaran comme lui et partisan d’une ligne dure.
Pour les analystes, le guide suprême, Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur le nucléaire, a arbitré provisoirement du moins en faveur de la faction « ultra » du populiste Mahmoud Ahmadinejad. Non que M. Larijani, conservateur lui-même, ait été moins « dur » que le président, mais son approche « réaliste » ne coïncidait plus avec la vision jusqu’au-boutiste d’un « train nucléaire lancé à toute vitesse et auquel on aurait retiré les freins », soutenue par le président.
Ce départ a-t-il exacerbé les tensions entre « faucons et faucons radicaux », selon le mot d’un éditorialiste iranien, au moment où la perspective de nouvelles sanctions rend le régime nerveux ? Initiative inhabituelle, 183 députés conservateurs ont écrit une lettre publique louant l’action de M. Larijani.
Quant au conseiller diplomatique du guide, Ali Akbar Velayati, il a montré sa réprobation : « Dans la situation sensible actuelle sur le nucléaire, il aurait mieux valu que cela n’arrive pas ou qu’on l’empêche. »
Cette brèche dans le front conservateur vient mal à propos pour M. Ahmadinejad, déjà confronté au mécontentement populaire. L’Iran flirte avec une croissance à 6 % par an, mais le président, qui, revenant aux idéaux révolutionnaires, avait promis d' »apporter le pétrole à la table des Iraniens », leur a surtout servi une inflation galopante (estimée à 20 %), des loyers en hausse et de longues queues pour se procurer l’essence rationnée.
Dans une lettre ouverte, en mai, 57 économistes avaient dénoncé les dérives populistes de la gestion économique qui ont vu le gouvernement puiser dans le fonds de stabilisation du pétrole pour subventionner des projets parfois contestables. Les sanctions internationales ont fait le reste.
Le tabou sur le sujet a sauté : l’ex-négociateur nucléaire, Hassan Rohani, a confié au quotidien Etemad-e-Melli : « Les effets des sanctions se voient. Notre situation s’aggrave de jour en jour. »
COMMENTAIRE SIBYLLIN
Sur la défensive, le président a opéré une reprise en main, plaçant, en août, des fidèles à la présidence de la banque centrale, au ministère du pétrole, à celui de l’industrie. Il vient aussi de nommer un autre de ses proches, Ali Reza Afshar, au ministère de l’intérieur, où il aura un poste-clé pour l’organisation des élections législatives du 14 mars 2008, qui s’annoncent délicates pour les partisans du président après leur échec aux municipales de 2006.
L’opinion, l’université surtout, semble échapper au contrôle du régime. La répression s’est accentuée. Après des premières contestations en octobre, des centaines d’étudiants ont protesté, dimanche, à l’université Amir-Kabir à Téhéran. « Mort au dictateur ! », disaient les pancartes.
Le pragmatique Hachemi Rafsandjani, l’ex-président de la République islamique revenu en force après la victoire de ses partisans, alliés aux réformateurs, aux municipales et son accession à la tête de ce rouage important qu’est l’Assemblée des experts, en a profité pour fustiger le gouvernement : « On ne peut enfermer la pensée des gens avec des régimes dictatoriaux. »
Le « renforcement » de M. Ahmadinejad est-il si solide ? En butte aux dissensions des conservateurs et à la méfiance de religieux qui estiment que trop de fondamentalisme peut nuire à la survie même du système, il n’est là que par la volonté du guide, estiment les commentateurs. Lequel a eu ce commentaire sibyllin, il y a deux jours : « Je soutiens ce gouvernement, mais ça ne veut pas dire que j’approuve tout ce qu’il fait. »
« Peut-être l’utilise-t-il pour explorer jusqu’au bout la confrontation actuelle, confie un diplomate iranien. Si tout s’effondre, M. Ahmadinejad sera seul responsable, le guide l’écartera. »