IranIran (actualité)Le théorème égypto-iranien

Le théorème égypto-iranien

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Le Figaro, 26 janvier – par Alexamdre Adler – Une simple observation empirique, s’agissant du «Grand Moyen-Orient» : l’Égypte à l’ouest et l’Iran à l’est semblent y fonctionner comme deux pôles de charge électrique opposée. Ils définissent ainsi à eux deux le champ électromagnétique essentiel du Moyen-Orient, car ils sont, en l’absence de la Turquie tournée vers l’Europe, les deux grands États nations de la région. Mais il y a plus étrange encore : si l’on considère la quatrième dimension le temps, ici historique , Le Caire et Téhéran alternent depuis 1945 dans des postures toujours aussi symétriques.

De 1945 à 1953, l’Iran est en proie à une fièvre nationaliste et démocratique, dont la haute figure de Mossadegh domine le déroulement. À la même époque, l’Égypte du roi Farouk demeure une monarchie parlementaire débonnaire, bien que de plus en plus chaotique. À peine le cycle révolutionnaire iranien se ferme-t-il avec la contre-révolution pro-impériale organisée par les services secrets britannique et américain en 1953, et voici qu’en Égypte, après le coup d’État pacifique des «officiers libres » de 1952, l’ardent nationaliste révolutionnaire qu’est Nasser s’impose au libéral général Néguib.

Le nasserisme se survit encore grâce au prolongement de la grande ombre de son fondateur, bien après la mort de Nasser, survenue en 1970. Ce n’est vraiment qu’en 1978 que le visionnaire Anouar el-Sadate impose, après sa visite prophétique à Jérusalem, un nouveau cours pro-occidental et réformiste en Égypte. Au même moment, le pouvoir du chah vacille, cette fois-ci pour de bon, devant la rue islamiste et gauchiste, enflammée par les prêches de Khomeiny. Nous en sommes, en apparence, encore là avec Hosni Moubarak, qui prolonge, avec certes de considérables hésitations, les choix stratégiques de Sadate, mais aussi avec Ahmadinejad qui, lui, s’efforce avec une difficulté croissante de ranimer la flamme révolutionnaire et xénophobe des débuts de la révolution iranienne. Pourtant, le basculement est déjà visible à l’œil nu, en Iran à tout le moins.

Nous avons, en effet, assisté successivement à deux discours du guide de la révolution, l’ayatollah Khamenei, le premier, évoquant tout à trac la possibilité d’un rapprochement avec les États-Unis qu’il n’excluait plus pour l’avenir, le second pour morigéner publiquement le président Ahmadinejad, coupable à ses yeux d’avoir ignoré les doléances du Parlement en matière énergétique. Tout indique qu’au lendemain des élections générales de mars, qui, à la différence des présidentielles de 2005, ne seront pas, cette fois-ci, truquées dans la même proportion, une offensive généralisée des conservateurs éclairés et des progressistes assagis cherchera à se débarrasser pour de bon de l’énergumène terroriste, négationniste et obscurantiste qui tient lieu de président à la grande nation iranienne.

Mais notre équation de champ a-t-elle pour autant disparu ? En d’autres termes, l’Égypte demeurera-t-elle stable tandis que l’Iran entreprend son grand basculement vers l’Ouest ? Tout indique là aussi, mais de manière plus feutrée et plus souterraine, qu’une grande mutation politique se prépare aussi au Caire, et de toute évidence en sens opposé. L’agent de cette mutation n’est autre que le Hamas.

Ce mouvement palestinien, issu des Frères musulmans égyptiens avec lesquels il demeure en contact étroit, oscille depuis quinze ans entre une Syrie qui l’arme et le soutient, et une Arabie saoudite qui le finance sans pour autant l’approuver en tout. L’alliance stratégique de l’Iran et de la Syrie conduit l’aile dure de Téhéran à pousser le parti chiite libanais, Hezbollah, dans les bras du Hamas, pour entre autres choses démentir la terrible réalité du conflit religieux entre sunnite et chiite qui nous provient chaque jour de Bagdad sous forme d’images terrifiantes. Mais la direction du Hamas a compris que l’échiquier régional était déjà bouleversé : en attendant la résolution du conflit interne à Téhéran, le Hezbollah est revenu au point mort ; pour se couvrir face à un tournant stratégique iranien, le régime syrien essaie tout à la fois de montrer pratiquement sa capacité de nuire au Liban et multiplie les œillades aux Américains, même à Israël.

Enfin, l’Arabie saoudite croit le moment venu pour imposer un nouveau mariage de convenance à un Hamas de plus en plus affaibli et une autorité palestinienne nettement renforcée. Le seul moyen qu’a le Hamas de maintenir la posture radicale à laquelle il tient tant se situe donc au sud, en Égypte. C’est la raison pour laquelle la petite émeute antiblocus, qui a conduit les militants du Hamas de Gaza à submerger la frontière égyptienne à el-Arish, doit être prise au sérieux. Celle-ci en effet n’a rien de spontané : elle vise à embarrasser le gouvernement égyptien, à provoquer une fraternisation avec les forces de sécurité du Caire, et, au-delà, à presser le chef des forces de sécurité égyptiennes, le général Omar Souleiman, à choisir son camp, c’est-à-dire sans aucun doute à se passer de Moubarak en alliance avec la puissante confrérie des Frères musulmans. Décidément, le théorème égypto-iranien semble bien prêt de se réaliser une fois de plus… et l’histoire est bien une science expérimentale.

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