IranNucléaireIran : les ambiguïtés de l'accord nucléaire avec l'Europe

Iran : les ambiguïtés de l’accord nucléaire avec l’Europe

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Figaro : 25 novembre – «Mais que veut donc l’Iran ?» Membre de la Fondation pour la recherche stratégique à Paris, Bruno Tertrais se garde bien d’une réponse précise. «Si l’Iran aspire seulement à être libéré de son étiquette d’«Etat voyou» pour revenir dans le concert des nations, il n’a pas besoin de la bombe atomique. Des garanties internationales suffiraient. Mais si, face aux Etats-Unis, son objectif, c’est d’accéder au statut de puissance régionale, la création d’une force de dissuasion est évidemment logique.»
Alors que le conseil des gouverneurs de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) se retrouve aujourd’hui à Vienne pour sa réunion trimestrielle, l’attitude de Téhéran reste toujours aussi ambiguë.

Quelques jours à peine après avoir conclu un compromis avec l’Union européenne, l’Iran conteste le projet de résolution que l’UE va présenter à l’AIEA. Selon Mohammed Saïdi, directeur adjoint de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, «la suspension de l’enrichissement de l’uranium devient une obligation légale et prend un caractère illimité. Or il n’y a rien de tel dans l’accord que nous avions signé».

En octobre 2003, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient déjà cru obtenir un arrangement satisfaisant. En promettant de respecter les obligations du TNP (Traité de non-prolifération) auquel il adhère depuis longtemps, l’Iran n’avait plus à craindre que Washington exige le recours au Conseil de sécurité de l’ONU. Dénoncé par George W. Bush comme l’un des trois pivots, avec l’Irak de Saddam Hussein et la Corée du Nord, d’un «axe du mal» que les Etats-Unis se disaient déterminés à abattre, l’Iran rêve aujourd’hui de respectabilité. A l’inverse de Saddam Hussein ou du régime de Pyongyang, il craint donc les sanctions éventuelles du Conseil de sécurité qui feraient de lui un paria.

Mais, poursuivant une stratégie schizophrène, l’Iran ne veut pas non plus renoncer à l’arme nucléaire. Il se juge encerclé par des puissances hostiles : Israël avec son arsenal non avoué, l’Arabie saoudite, haut lieu de l’islam sunnite pour qui les chiites sont des traîtres et, maintenant, les soldats américains qui campent de l’autre côté de sa frontière avec l’Irak. Du coup, le programme militaire clandestin, que les Iraniens persistent à mener parallèlement à l’atome dit pacifique, est justifié comme un moyen de «sanctuariser» le pays. «Du point de vue géo-politique, remarque François Heisbourg, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, cette volonté d’accéder à la bombe reflète effectivement le rapport des forces sur le terrain. Le problème c’est que, contrairement au Pakistan et à l’Inde, devenus des puissances nucléaires, l’Iran a signé le TNP.»

Officiellement, Téhéran a renoncé au nucléaire militaire puisque le TNP l’interdit. Mais «les diplomates iraniens qui sont habiles au marchandage des souks, remarque un observateur occidental, ne cessent de vendre le même tapis». Même si, comme l’affirment les Iraniens, la suspension de l’enrichissement est «volontaire et temporaire» plutôt qu’«obligatoire et illimité», le fait est que Téhéran a juré d’arrêter. Or, sur le site de Natanz, près de la capitale, des ingénieurs persistent à mettre au point des cascades de centrifugeuses dont le seul intérêt est d’enrichir l’uranium jusqu’aux niveaux très élevés que demande un usage militaire.
Les Iraniens jonglent avec plusieurs cartes diplomatiques. Ils jouent la troïka européenne pour éviter que les Etats-Unis n’imposent la transmission du dossier à l’ONU. Ils soignent les pays du tiers monde qui, constituant la majorité du Conseil de l’AIEA, sont forcément des alliés contre Washington. Ils accordent à la Russie les meilleurs contrats pour s’assurer d’un éventuel veto devant le Conseil de sécurité. Pourtant Heisbourg a un diagnostic positif :«Les Européens qui ne sont armés que d’un sabre de bois ont bien manoeuvré. En matière de prolifération, l’essentiel est de gagner du temps pour ménager des transitions.»
La partie de billard est permanente. Dans l’accord avec l’Union européenne, les Iraniens ont ainsi le sentiment d’avoir marqué plusieurs points. D’abord, le texte ne prévoit pas de critère déclencheur de la saisine du Conseil de sécurité. Ensuite, l’interdiction de convertir l’uranium en gaz UF-6 comme carburant des centrifugeuses a été grignotée : les 37 tonnes d’uranium déjà stockées dans l’usine nucléaire d’Ispahan pourront être transformés en UF-4, dernière étape avant l’UF-6. Enfin, l’examen du Conseil de l’AIEA n’est plus automatique. C’est Mohamed ElBaradei, le patron égyptien de l’Agence de Vienne, qui décidera quand il estimera nécessaire de faire un rapport aux gouverneurs.

Pour Heisbourg, il n’y a pas d’autre solution que la démarche de la troïka européenne :«Les Etats-Unis n’ont pas osé profiter de la fenêtre d’opportunité des premières semaines de l’intervention contre l’Irak, lorsqu’ils disposaient pour attaquer l’Iran de 300 000 GI et de 40 000 soldats britanniques. Quant à l’aviation israélienne, elle ne pourrait pas rééditer le raid qui avait détruit le réacteur irakien en 1981. Parce que les installations iraniennes sont dispersées à travers un pays immense et enfouis dans le béton, il faudrait des semaines de bombardement. Surtout, le rôle d’Israël confirmerait qu’entre l’Occident et l’islam, il y a bien une guerre des cultures.»
Ancien conseiller de George W. Bush, David Frum défend évidemment la thèse contraire. «Si l’Iran, dit-il, finit par démanteler son programme nucléaire, les Européens s’empresseront de proclamer qu’ils ont démontré que Bush a eu tort de faire la guerre à l’Irak pour éliminer les armes de destruction massive de Saddam. Mais si les Iraniens ne renoncent pas, ce sera une nouvelle preuve de la faillite du système multilatéral.» David Frum s’indigne : «Contrairement aux Européens, nous refusons la logique de Téhéran. Comprendre l’attitude de l’Iran, c’est déjà pardonner.»

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