Washington Post, 7 juin –
De Karl Vick et Dafna Linzer
Téhéran – Loffre diplomatique confidentielle soutenue par Washington et présentée officiellement à lIran mardi dernier laisse entrevoir la possibilité que Téhéran enrichisse de luranium sur son propre sol, ont déclaré des dirigeants américains et européens.
Cette concession, accompagnée de la promesse de lassistance américaine pour un programme dénergie nucléaire civile, est conditionnelle de la suspension par Téhéran de ses travaux nucléaires actuels jusquà ce que lAgence internationale de l’Energie atomique de lONU déclaré en toute confiance que le programme est pacifique. Les hauts responsables américains ont affirmé que lIran aurait aussi besoin de convaincre le Conseil de Sécurité de lONU quil ne cherche pas à développer une arme nucléaire, point de référence qui selon la Maison Blanche pourrait prendre des années, voire des décennies, pour le voir se réaliser.
Mais ladministration Bush et ses alliés européens ont retiré leur exigence que lIran abandonne tout espoir denrichir de luranium pour générer de lénergie nucléaire, selon plusieurs responsables européens et américains connaissant les termes de loffre. Cette nouvelle position, qui na pas été reconnue publiquement par la Maison Blanche, diffère de manière significative de la détermination déclarée de ladministration Bush dempêcher lIran de maîtriser la technologie pouvant être utilisée dans le développement darmes nucléaires.
« Au fond, ce que nous disons maintenant cest que, sur le long terme, sils restaurent la confiance, ce régime iranien peut mener lenrichissement chez lui », a affirmé un haut responsable américain, qui a parlé sous couvert de lanonymat. « Mais ils doivent répondre à tous les sujets de préoccupation relatifs à un programme darmes secret. »
LIran a construit son programme nucléaire en secret pendant 18 ans. Celui-ci a été dévoilé par des dissidents en 2002, lançant une enquête de lONU qui na trouvé aucune preuve dun programme darmes mais qui a été incapable dexclure cette hypothèse. LIran maintient que son programme avait pour objectif la production dénergie nucléaire et non darmes.
Dans des discussions privées entre les Etats-Unis et ses alliés concernant une action éventuelle contre lIran, lAllemagne avait suggéré que lIran soit autorisé à continuer, sous contrôle strict de lONU, ses recherches sur lenrichissement pendant les négociations. Mais ladministration Bush, ainsi que les gouvernements de France et de Grande-Bretagne, nétaient pas daccord, avançant que lIran devait suspendre son programme jusquà ce que les suspicions relatives à sa nature réelle soient dissipées.
La liste des avantages que le chef de la politique étrangère de lUnion Européenne, Javier Solana, a expliquée aux dirigeants iraniens ici même mardi, a été approuvée par les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de lONU et lAllemagne. Elle contient non seulement la promesse des USA sur lenrichissement mais aussi une offre américaine de se joindre directement aux négociations si lIran suspendait son programme, ainsi que la garantie dune assistance européenne dans la construction de centrales nucléaires à eau légère et le soutien à la candidature de lIran pour lOrganisation mondiale du Commerce.
« Nous avons eu des discussions constructives », a déclaré le négociateur en chef de lIran, Ali Larijani, à la presse après une réunion de deux heures dans les bureaux du Conseil suprême de la sécurité nationale. « Il y a certains points positifs et également certaines ambiguïtés. »
Larijani na pas donné plus de détails, mais les diplomates ont affirmé que latmosphère autour du meeting semblait venir renforcer les assurances émises par les dirigeants iraniens que la nouvelle proposition serait prise au sérieux. Le ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki, nommé par le président radical Mahmoud Ahmadinejad, a promis détudier « la série de mesures incitatives de lEurope », description mettant en relief les éléments positifs de la proposition.
En privé, un haut dirigeant iranien a affirmé que loffre semblait valoir la peine dêtre prise en considération.
Les diplomates européens et américains ont exprimé leur soulagement.
« Notre but premier a déjà été atteint parce quils nont pas rejeté » loffre, selon un diplomate européen.
Parlant à des journalistes depuis Laredo, au Texas, le président Bush a déclaré que la réaction de Larijani aux propositions « ressemblait à une réponse positive, selon moi ».
« Je veux résoudre ce problème avec lIran diplomatiquement Nous verrons si les Iraniens prennent notre offre au sérieux. Le choix leur appartient », a affirmé Bush.
Cette nouvelle offre incarne la « diplomatie robuste » que Bush désirait, selon des responsables américains, dans lespoir délargir les options politiques qui sétaient réduites à deux solutions peu attrayantes : une frappe militaire contre les installations nucléaires connues de lIran, ou lacceptation dun programme nucléaire iranien qui nétait que légèrement supervisé par lAIEA.
Les diplomates ont ajouté que loffre comprenait des éléments mentionnés dans des séries de négociations antérieures : Washington assouplirait certaines de ses sanctions économiques afin de permettre la vente de pièces détachées pour les avions civils iraniens, ainsi que de la technologie pour les systèmes dalertes aux tremblements de terre et létude météorologique. Tout comme loffre américaine de se joindre directement au dialogue, ces initiatives montrent au moins la possibilité dun engagement futur entre Washington et Téhéran.
Mais le marché repose dabord sur la décision de lIran de suspendre ou non lenrichissement, le pays ayant répété plusieurs fois quil ne le ferait jamais. Un diplomate a affirmé que loffre reflétait les semaines dintenses discussions au sommet à Washington et à Téhéran visant à faire dévier le conflit.
« Chaque camp a porté un regard plus attentif à ce que lautre veut et à la manière dont un compromis peut être trouvé », daprès un diplomate occidental.
Selon ladministration Bus, la possibilité pour que lIran enrichisse un jour de luranium est « une partie très importante du marché, et cest ce qui permettra à lIran de laccepter », selon un haut responsable américain qui a désiré rester anonyme. « LIran a toujours rejeté les offres précédentes quil voyait comme des tentatives pour lempêcher dexercer ses droits à lenrichissement. Là ce nest explicitement pas le cas. »
Cette initiative reflète également une nouvelle réalité : lIran a annoncé en avril quil avait fait des progrès dans lenrichissement duranium à un niveau industriel. Les dirigeants iraniens étaient fiers de dire que ces progrès « changeaient les faits à leurs bases ».
Téhéran va très certainement se battre pour conserver cette capacité à petite échelle. « Ce sera la grande question et les Iraniens vont résister, puisque quils le font déjà de toute façon », selon un haut responsable américain.
Pour permettre à lIran de faire avancer dautres éléments de son programme nucléaire, tels quachever une centrale en construction à Bushehr dans le Golfe Persique, la proposition suggère que lIran importe de luranium enrichi de Russie pour toute la durée de son moratoire sur lenrichissement.
Les diplomates à Washington et dans les capitales européennes sattendent maintenant à des semaines de contacts privés parmi les dirigeants européens, iraniens, russes chinois et américains afin de définir les détails des négociations sur cette offre : des négociations sur des négociations, puisque loffre a pour but de rouvrir de nouveaux pourparlers formels. Les hauts responsables ont déclaré que ces derniers pourraient débuter dès le mois prochain, si lIran accepte de faire le premier pas en suspendant ses activités de recherche et de développement actuelles.
« Ils ont besoin de temps pour avaler et en fait digérer non seulement la proposition mais aussi les initiatives de lAmérique, et en particulier la dernière », selon un diplomate européen résidant en Iran qui a demandé à ne pas être identifié.
« Lélément le plus important de loffre est que les Américains se disent disposés à dialoguer. Tout le reste, selon moi, est mineur comparé à cela. »
Aucun délai na été officiellement fixé pour la réponse de lIran, bien que la secrétaire dEtat Condoleezza Rice ait évoqué un délai se comptant en semaines plutôt quen mois. Dautres diplomates disent quun « délai naturel » serait le sommet du G8 des nations industrialisées devant débuter le 15 juillet à St Petersbourg.
Linzer a rédigé cet article depuis New York. Michael Abramowitz à Laredo a contribué à cet article.