OpinionPresse internationaleComme un vent de panique à Téhéran...

Comme un vent de panique à Téhéran…

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Le Monde.fr: Chronique de Sahand Saber – Ces dernières semaines, les plus hautes personnalités de la République islamique ont connu une agitation de laquelle ressortent aujourd’hui des divisions frappant le cœur même du camp conservateur. Déterminé depuis le début de son premier mandat présidentiel à racketter la vie politique iranienne et l’ensemble des rares espaces d’expression que la société civile est parvenue à s’aménager, le Président Ahmadinejad s’est à nouveau lancé dans une croisade en vue de prendre le contrôle des Universités islamiques libres qui constituent la plus grande institution de l’enseignement supérieur iranien.

Les Universités islamiques libres sont dans le viseur du Président iranien depuis que leur Président, Abdullah Jasbi, a pris la décision de permettre aux partisans de Mir-Hossein Moussavi, et plus particulièrement ceux de l’ancien Président Hashemi Rafsandjani, d’utiliser tout l’espace offert par ces structures parallèles aux universités régulières pour mener leurs activités politiques. Depuis lors, M. Ahmadinejad et les siens mènent une âpre lutte pour contraindre M. Jasbi à quitter ses fonctions.

Conscient du risque qu’il prenait en préservant les Universités islamiques libres comme rampe de lancement de ses actions politiques, M. Rafsandjani a mis en place, il y a deux ans de cela, un fond en fidéicommis ouvert à tous pour leur assurer une dotation indépendante du budget de l’État et défendre ainsi ces universités du raid lancé par M. Ahmadinejad.

Le Conseil suprême de la Révolution culturelle qui, pour être effectives, doit valider toutes les réformes relatives aux Universités islamiques libres s’était aussitôt insurgé et tentant alors, à l’appui du règlement interne, d’associer aux Conseils d’administration de l’institution universitaire cinq membres supplémentaires afin d’en reprendre le contrôle.

Nécessitant l’approbation du Conseil suprême de la Révolution culturelle pour procéder à tout changement dans la gouvernance des Universités islamiques libres, le Président Ahmadinejad s’est efforcé de faire examiner la légalité de ce financement par ce Conseil au sein duquel il bénéficie d’un nombre important de soutiens.

C’est après de violents échanges au Parlement que le Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, est intervenu pour mettre un terme à cette dispute alors sur le point d’atteindre les différentes sphères d’influence du régime, et notamment les très influents commerçants du bazar dont M. Jasbi est un compagnon de longue route.

MM. Rafsandjani et Ahmadinejad se sont ainsi chacun fait remettre une lettre dans laquelle le Guide exprima son désaccord avec la réforme envisagée de la gouvernance des Universités islamiques libres et fit part de sa décision d’annuler la décision du Conseil suprême de la Révolution culturelle, affligeant ainsi un coup sévère à M. Ahmadinejad et les siens. Il a également décidé de restaurer l’ancien système de financement qu’avait modifié M. Rafsandjani.

Si les faits montrent un retour à la situation antérieure, M. Ahmadinejad vient toutefois de connaître un camouflet infligé par le Guide qui lui avait pourtant ouvert, durant son premier mandat, la voie vers la prise de contrôle des Universités régulières.

Cette intervention du Guide suprême pourrait bien être une nouvelle manœuvre destinée à réaffirmer son autorité. L’instabilité politique du pays et l’incapacité du Guide à tenir les rangs au cours de ces derniers mois ont fait remonter à la surface un certain nombre de débats qui avaient longtemps durant été enterré. Chez les religieux, on lui rappelle et reproche sa médiocrité religieuse. On considère en effet que les problèmes d’autorité qu’il rencontre relèvent de sa connaissance insuffisante des sciences islamiques. On lui rappelle également qu’il n’a pas eu à rédiger de traité théologique, pourtant obligatoire, pour accéder au rang d’Ayatollah, mais que cette élévation fut en réalité une simple décision politique dont la vocation était de lui permettre de devenir, à la mort de l’Ayatollah Khomeyni, le nouveau Guide suprême.

Dans un texte publié sur son site avant d’être aussitôt retiré, le Guide a annoncé avoir émis une fatwa dans laquelle il obligeait chacun de se soumettre à son autorité.

« La charge du Guide suprême est de diriger en l’absence des infaillibles Imams. [Sa mission] émane de la charge et de l’autorité du Prophète Mohammad et des Infaillibles Imams. Vous devez vous soumettre à lui et obéir à ses décisions », a-t-il déclaré. En d’autres termes, M. Khamenei tente de restaurer son autorité à l’appui de sa position au sein du régime iranien pour tenter de couper court aux spéculations dont ses compétences font l’objet. À la controverse liée à ses piètres qualités de religieux s’ajoutent aujourd’hui les spéculations portant sur sa santé. Le Guide suprême est en effet connu pour être dépendant à l’opium, dépressif et rongé par un cancer. La succession de M. Khamenei est ainsi déjà discutée au sein de certains cercles du pouvoir iranien.

À l’extérieur, la situation de l’Iran sur la scène internationale échappe tout autant aux dignitaires de la République islamique qui s’imaginaient jusqu’à peu encore capables de résister aux sanctions unilatérales prises par l’Europe et les États-Unis.

Le 25 juillet dernier, le régime mettait l’Union européenne en garde contre toutes nouvelles sanctions. Le Président Ahmadinejad déclarait en effet que « l’Iran réagirait avec fermeté face à de tels actes ». Il a fallu à peine quelques heures pour que le gouvernement iranien change de ton et se dise prêt à reprendre dans l’immédiat les négociations. Alors qu’à la fin du mois de juin, le négociateur en chef du programme nucléaire iranien Saeid Jalili disait l’Iran prêt à rediscuter avec les représentants de la communauté internationale, il fixait alors un calendrier indiquant le début du mois de septembre. Pour le Ministre iranien des affaires étrangères Manouchehr Mottaki, les négociations peuvent reprendre « immédiatement ». « Demain, cette lettre va être transmise à l’AIEA à Vienne et nous pourrons alors commencer immédiatement les négociations sur les détails de l’échange de combustible » a-t-il ajouté.

On remarque combien la République islamique se sait sérieusement en danger et comment les escalades verbales qu’elle encourage cachent en réalité une position d’une fragilité jamais connue, certainement consciente que la politique reprend le pas sur elle.

Il ne faut cependant pas être naïf. La République islamique réclame une nouvelle fois des négociations pour gagner du temps. Les négociations entamées dès 2003 et qui n’ont jamais donné le moindre résultat, sauf peut-être la poursuite ininterrompue du programme nucléaire iranien, ont toujours été appréhendées par les dirigeants iraniens non pour trouver une solution de compromis, mais pour gagner chaque fois davantage de temps et poursuivre ainsi l’objectif final qu’est la bombe atomique.

La confiance en quête de laquelle a toujours été la communauté internationale n’est pas un langage connu de la République islamique pour lequel la confiance consiste en des actes unilatéraux des occidentaux vers elle, jamais en sens inverse.

Le trouble politique avancé que vit la République islamique doit une nouvelle fois interpeller les responsables politiques de la communauté internationale et les convaincre de ne plus espérer que des négociations puissent aboutir à un résultat constructif. En effet, lorsque le régime se tenait encore debout sans inquiétude, aucune solution ne se dégageait des heures de discussions passées aux cas coins du monde, à tous les niveaux diplomatiques. Avec aujourd’hui un régime en péril de mort et une faction conservatrice divisée, les engagements que pourraient prendre certains responsables politiques iraniens pourraient être ignorés par d’autres responsables politiques plus puissants ou simplement moins enclins à avancer sur le dossier nucléaire.

Sans hiérarchie cohérente, la République islamique n’est plus en mesure de répondre aux garanties réclamées par la communauté internationale en sorte que les engagements pris par les uns seront sans nul doute l’objet de nouvelles batailles au sein du régime. Incapable de s’entendre entre eux, peut-on croire qu’ils parviendront à s’entendre avec la communauté internationale ?

suite: http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/07/28/comme-un-vent-de-panique-a-teheran_1392822_3232.html

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