The Wall Street Journal
Michael Rubin
27 février 2006
Le 22 février, des terroristes ont posé une bombe dans la mosquée Askariya à Samarra, en Irak. Lattentat a choqué les Irakiens et mis en fureur les Chiites. Le gouvernement iranien a cherché à diriger la colère du public contre Washington. Le guide suprême Ali Khamenei a rejeté la responsabilité sur les « agences de renseignements des occupants en Irak et les Sionistes ». La chaîne télévisée en arabe al-Alam a répété ces accusations le 23 février. Parce que al-Alam est une chaîne hertzienne, elle jouit dune grande influence parmi les Irakiens démunis qui nont pas les moyens dacheter dantennes paraboliques. De plus, Abdul Aziz al-Hakim, chef du puissant Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (Sciri), mouvement aligné sur Téhéran, a accusé lambassadeur américain Zalmay Khalilzad dêtre responsable de lattentat. « Il est certainement en partie responsable de ce qui sest passé », a affirmé M. al-Hakim.
Il ne lest pas et Washington non plus dailleurs, malgré la tendance de lélite politique à lauto-flagellation. La responsabilité des actes terroristes repose uniquement sur ses auteurs et ses commanditaires. Ici cependant, la Maison Blanche a perdu toute cohérence. Tandis que les journalistes se concentrent sur les bains de sang quotidiens, les Irakiens décrivent un schéma plus large que les dirigeants américains ne reconnaissent même pas : pas à pas, les autorités iraniennes reproduisent en Irak la stratégie qui a amené le Hezbollah à prendre le contrôle du sud du Liban dans les années 1980. Le schéma, militaire, économique et dinformation, est quasiment identique.
Lhistoire du Hezbollah a commencé en 1982. Tandis que larmée israélienne a évincé le PLO du Liban, layatollah Khomeini a envoyé ses Gardiens de la Révolution à Bekaa Valley afin darmer et dorganiser ses Chiites. Le Hezbollah était né. Les autorités iraniennes ont formé simultanément le Djihad islamique, léquivalent sunnite du Hezbollah. (Lidée selon laquelle les Chiites narment pas les Sunnites revêt une beaucoup plus grande importance à Langley quau Liban.) Téhéran était si fier de ce soutien que, jusquau début des années 1990, il a même tenu une ligne de poste budgétaire. Cet investissement a été payant : même après la révolution Cedar lannée dernière, le sud du Liban est resté sous le contrôle du Hezbollah. Le Djihad islamique est toujours une force.
Tout comme les Gardiens de la Révolution ont aidé le Hezbollah à saffiner en une force meurtrière, ils ont également entraîné le Corps de Badr, milice du Sciri. Le Corps de Badr sest infiltré en Irak avant même que les forces américaines natteignent Bagdad. Cela a eu des répercussions sur le marché noir de Sadr City où le prix des papiers irakiens a augmenté tandis que celui des passeports iraniens a baissé. La stratégie iranienne a été mise à nu par le choix de ses représentants. Son premier chargé daffaires dans lIrak post-Saddam fut Hassan Kazemi Qomi, ancien officier de liaison des Gardiens de la Révolution avec le Hezbollah au Liban. Le Sciri na pas non plus caché son affiliation. En janvier 2004, le drapeau jaune du Hezbollah libanais flottait depuis les quartiers généraux du Sciri dans la ville de Basra, au sud du pays.
Les événements qui ont suivi en Irak reflètent lévolution de la tactique du Hezbollah. Au Liban, les conseillers des Gardiens de la Révolution imprègnent les jeunes Libanais du culte du martyre. Les tueurs kamikazes du Hezbollah ont avancé avec une régularité dangereuse, chassant finalement les soldats de la paix américains et multinationaux du Liban. En 1984, le Hezbollah a ajouté les enlèvements à son répertoire. Les Gardiens de la Révolution fournissaient des renseignements aux kidnappeurs et, dans certains cas, interrogeaient les victimes. Le groupe a enlevé plusieurs dizaines détrangers, dont 17 Américains. Comme en Irak, les journalistes nont pas été épargnés. En 1987, le Hezbollah a retenu en otage le correspondant en chef au Moyen Orient dABC pendant deux mois. Comme en Irak, les ravisseurs ont cherché aussi bien à gagner une concession matérielle quà ébranler la confiance de lOccident.
Des bombes de plus en plus sophistiquées ont aussi accompagné lascension du Hezbollah. Lengin explosif improvisé est devenu un fléau pour les patrouilles de la coalition. En octobre 2005, Tony Blair a confirmé que les bombes utilisées pour tuer huit soldats britanniques en Irak étaient du même type que celles utilisées par les Gardiens de la Révolution dIran et ses agents du Hezbollah. En novembre 2005 à Sweileh, en Jordanie, jai rencontré un leader insurgé irakien sunnite qui a été forcé dadmettre la « possibilité » que certains insurgés irakiens sunnites aient reçu de largent iranien, mais à leur insu.
Tandis que Washington se tord les mains de désespoir pour lattentat de Samarra, il ne doit pas faire le jeu des Iraniens et répéter la même erreur quà Najaf : après lattentat à la bombe du 29 août 2003 dans le sanctuaire de limam Ali, les autorités de la coalition ont accepté de renforcer les milices pour la sécurité. Une fois implantées, les milices ont pris racine. LIran est patient. Tandis que Washington se réjouissait dun retour au calme à court terme, Téhéran cherchait à asseoir son influence à long terme.
Comme dans le sud du Liban, ce qui ne peut être obtenu par la corruption peut lêtre par lintimidation. Ni le Hezbollah ni les milices chiites en Irak ne tolèrent la dissension. Les constitutions ont peu dimportance et la loi encore moins. Dans le sud du Liban, le Hezbollah est juge, jury et bourreau. En Irak, les milices chiites font de même. Les miliciens suppriment les pique-niques mixtes, exécutent les coiffeurs et les propriétaires de magasins vendant de lalcool, établissent leurs propres tribunaux et postent des gardes religieux devant les écoles pour filles pour sassurer quelles respectent le code vestimentaire iranien.
La force, cependant, nest pas le seul composant de la stratégie du Hezbollah. Au Liban, le Hezbollah sest servi de largent iranien pour former un réseau extensif de service social. Il a financé des écoles, des banques alimentaires et des agences pour lemploi. Il sagit dune stratégie testée et réelle. Lorsque je vivais à Dushanbe vers la fin de la guerre civile au Tadjikistan, les babushkas faisaient la queue sous le portrait de Khomeini pour venir chercher de la nourriture au Comité humanitaire de limam Khomeini. Et dans les quartiers chiites de Bagdad, on pouvait assister à des scènes similaires. Tandis que lambassade américaine est fière de dépenser des milliards de dollars, elle ne fait que peu defforts pour les Irakiens ordinaires. Contrairement aux milices chiites. Le fils de M. al-Hakim, Amar, a ouvert des annexes de son Établissement pour la promotion de lIslam Shahid al-Mihrab dans le sud de lIrak. Ils distribuent de la nourriture et des dons dargent en échange dune promesse dallégeance. Pour les Irakiens nayant ni électricité ni gagne-pain, la décision est simple.
Les dirigeants américains nont aucune stratégie pour lutter contre cela. Lors dun meeting récent de lAmerican Enterprise Institute, James Jeffrey, coordinateur pour lIrak au département dÉtat, a déclaré : « Nous ne croyons pas aux sacs dargent au milieu de la nuit comme les Iraniens ». En principe, cest bien ; en réalité, cest la recette de léchec. Alors que Téhéran a compris limportance des réseaux de charité, ce nest pas le cas de Washington. Alors que les fonds américains vont à Bechtel et Halliburton, les groupes soutenus par lIran sadressent aux besoins immédiats des Irakiens. Et non seulement la politique américaine est inefficace, mais en plus lincompétence de Foggy Bottom renforce Téhéran. Prenez Bayan Jabr, fonctionnaire du Sciri qui, avec lapprobation des Américains, est devenu le ministre de lIntérieur de lIrak. Il a transformé la police irakienne en un programme de recrutement pour le Corps de Badr. Selon un ministre irakien, il a embauché 1% de la main duvre de Najaf. Ces recrues en font peu, ils reçoivent un salaire de courtoisie du Congrès américain et le Corps de Badr récolte toute la reconnaissance.
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Le dernier élément de la stratégie du Hezbollah est la guerre de linformation. Depuis 1991, il passe par al-Manar TV pour diffuser son message. LIran a financé al-Alam pour les mêmes raisons et est parvenu à débuter la diffusion trois mois avant que lIraqi Media Network financé par les États-Unis ne commence ses émissions. Bien équipé, al-Alam fournissait des voitures et des caméras vidéo à des étudiants, les nommant correspondants et promettant une récompense à ceux qui ramèneraient des séquences embarrassantes pour les Américains.
Cest dans la guerre de linfo que Washington est tombé. Les Américains opèrent en Irak en vase clos. A labri dans la Zone Verte, les diplomates ne sont pas conscients de la propagande de lennemi. La résistance à loccupation est la litanie du Hezbollah. Cest un thème que le Corps de Badr et lArmée Mahdi du religieux agitateur Muqtada al-Sadr ont adopté. Pourquoi alors Foggy Bottom a approuvé le22 mai 2003 la résolution 1483 du Conseil de Sécurité de lONU qui officialise les USA et la Grande-Bretagne en tant que « puissances occupantes » ? Le rameau dolivier tendu par les Américains aux alliés européens pro-ONU était en réalité une ciguë. Dun trait de plume, la libération est devenue occupation : al-Manar et al-Alam bombardent les Irakiens ordinaires de montages glorifiant la « résistance ». Ensuite, ils soulignent la faillibilité des Américains avec des images de leur retrait du Vietnam, du Liban et de la Somalie.
Téhéran détient la formule du succès en Irak ; Washington non. La victoire nécessitera que les diplomates américains reconnaissent que toute politique couronnée de succès doit comprendre des stratégies non seulement pour promouvoir les intérêts américains et irakiens, mais aussi pour faire avorter les plans de nos adversaires. Les méthodes de lIran sont évidentes. La résolution américaine lest moins. Les enjeux en Irak sont élevés et un des camps est en train de jouer sérieusement. Et nous ?
M. Rubin, spécialiste permanent à l American Enterprise Institute, est le rédacteur en chef de Middle East Quarterly.