IranDroits de l'hommeUne Franco-Iranienne retenue à Téhéran

Une Franco-Iranienne retenue à Téhéran

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Le Figaro, 4 septembre – par Alain Barluet – Libérée sous caution après avoir été emprisonnée un mois, Mehrnoushe Solouki n’est pas autorisée à quitter le pays.

Pour Mehrnoushe Solouki, la vie a basculé le 17 février dernier. Ce jour-là, vers 13 heures, cette documentariste franco-iranienne de 38 ans, arrivée trois mois plus tôt à Téhéran pour réaliser un film sur la vague de répression de 1988, reçoit la visite de cinq hommes armés. Son matériel, ses cassettes et ses carnets sont saisis. Elle est conduite à la prison d’Evin au nord de la capitale. Elle y séjournera un mois, à l’isolement complet dans la section 209 réservée aux prisonniers politiques, contrainte de dormir à même le sol dans une cellule perpétuellement éclairée, et soumise tous les jours à des interrogatoires serrés. Elle est finalement libérée le 18 mars contre une caution de 85 000 euros et récupère son passeport.

En prison toutefois, ses geôliers lui ont fait savoir qu’elle est « interdite de sortie du territoire ». Officiellement, aucune charge n’est retenue contre elle. Mais elle fait l’objet d’une enquête des autorités iraniennes qui maintiennent sur son cas une ambiguïté lourde de menaces. Fin juillet, alors qu’elle marche dans la rue, elle est victime d’un curieux accident. Renversée par une moto qui ne sera jamais identifiée, elle est blessée au visage et aux jambes. Soucieuse pour sa sécurité, elle se considère comme une « prisonnière virtuelle » dans un pays qu’elle souhaite quitter au plus vite.

Jamais nommé, son « crime » semble pourtant assez clair : elle a touché au tabou de l’assassinat de milliers d’opposants politiques, entre 4 000 et 6 000, liquidés par le régime islamique en août 1988, officiellement en représailles à des attentats perpétrés quelques années plutôt contre le pouvoir. Parmi les victimes de la répression, des communistes, des monarchistes et des Moudjahidins du peuple.

Fin juillet 1988, à la fin de la longue guerre irano-irakienne, des membres de ce mouvement d’opposition armé en exil, soutenu par Saddam Hussein, pénètrent en Iran pour tenter de renverser le régime des ayatollahs. La manoeuvre échoue, déclenchant une riposte sanglante de Téhéran contre ses opposants, ou présumés tels. Le mouvement des Moudjahidins demeure la bête noire du régime iranien, ce que ne pouvait ignorer Mehrnoushe Solouki.

Française par naturalisation, vivant en France depuis 1998 mais étudiante en doctorat au Canada depuis 2005, la jeune femme obtient des autorisations pour faire un film sur les cérémonies d’enterrement des minorités religieuses (chrétienne, zoroastrienne, juive). Son tournage l’amène au cimetière Khavaran de Téhéran. Dans ce lieu hautement symbolique, elle découvre les fosses communes où furent enterrées les victimes des tueries de 1988. Elle décide alors de « réorienter » son film et de le centrer sur ces événements. Ses amis la mettent immédiatement en garde en soulignant la nature ultrasensible du sujet. « Je savais que c’était un film dangereux. Cela fait 19 ans que l’on n’en parle pas. Or, je voulais dire que ces gens-là sont morts en toute innocence », souligne Mehrnoushe Solouki, jointe par téléphone à Téhéran. Début février, elle se rend également en province, à Mashad, pour interviewer des familles de victimes d’autres violences, celles perpétrées par les Moudjahidins du peuple en 1982-1983. Le montage du film est presque achevé lorsqu’elle est arrêtée.

« C’EST DU KAFKA »

L’affaire Solouki intervient dans un contexte d’étouffement de l’opposition par un régime sous pression internationale. Un réflexe obsidional se traduisant notamment par la mise en accusation de binationaux, essentiellement américano-iraniens, accusés d’avoir « agi contre la sécurité nationale ». Haleh Esfandiari, universitaire irano-américaine, détenue durant trois mois à Evin, a quitté l’Iran. (lire l’encadré). La journaliste Parnaz Azima, autre Irano-Américaine, assignée à résidence depuis janvier, vient elle de récupérer son passeport et va pouvoir quitter le pays, a-t-on appris hier de bonne source.

Ces affaires, en voie de dénouement et où les griefs ont été ouvertement désignés, diffèrent donc notablement de celle de la Franco-Iranienne. « C’est du Kafka », souligne une source diplomatique. « On ne l’accuse de rien, personne ne l’appelle, hormis un officier des renseignements et ce silence dure depuis des mois », poursuit cette source. Le sort de la jeune femme est régulièrement évoqué au niveau politique. L’ambassade de France à Téhéran lui apporte un soutien moral et matériel mais ne cache pas son embarras. Entrée en Iran avec son passeport iranien, considérée comme Iranienne par les autorités, Mehrnoushe Solouki ne peut bénéficier de la protection consulaire française. Longtemps, elle a préféré se taire, espérant de cette façon sortir plus rapidement de l’impasse. Lasse d’attendre, physiquement et psychologiquement éprouvée, elle a maintenant décidé de parler.

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