Le Figaro, Naqoura (Sud-Liban) 13 juillet – Par Georges Malbrunot – Juché sur un mirador, un combattant du Hezbollah observe à la caméra la première position israélienne à quelques dizaines de mètres seulement, en contrebas d’un terrain miné. Nous sommes à Naqoura, à la pointe sud de la frontière libano-israélienne. De part et d’autre, tout au long des 100 kilomètres qui courent plus au nord, la milice chiite pro-iranienne et Tsahal se font face. «Le Hezbollah peut mobiliser de 1 500 à 2 000 combattants professionnels», selon un expert militaire occidental. Chacun guette le faux pas de l’autre. Le calme règne jusqu’aux fermes de Chébaa, le secteur contesté où le Hezbollah concentre ses attaques contre Tsahal. Un calme précaire. A tout moment, un tireur d’élite chiite peut tuer un soldat israélien posté à 600 mètres, tandis qu’en quelques secondes, l’aviation de Tsahal peut aller bombarder des positions au Liban, comme ce fut le cas fin juin.
Au-delà de Chébaa, la barrière de sécurité israélienne est trouée. Le Parti de Dieu exploite ces brèches pour envoyer des «pseudo bergers» se renseigner sur l’ennemi.
Depuis quelques mois, le Hezbollah parvient ainsi à poser des engins explosifs à l’intérieur du territoire israélien. Inquiète de cette progression, Tsahal vient d’installer de nouvelles barrières de fils barbelés et des caméras d’observation. Ce qui n’a pas empêché une nouvelle infiltration fin juin, et de violents combats au cours desquels un soldat israélien a été tué.
Après des mois de relative accalmie, le Sud-Liban pourrait aussi faire les frais d’un regain de tension régionale. La Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) craint que le Hezbollah attise les braises pendant le retrait israélien de la bande de Gaza, à partir de mi-août. Les chancelleries de leur côté redoutent que l’État hébreu profite d’une impasse dans les négociations cet été sur le nucléaire iranien pour frapper des cibles en Iran. «Téhéran pourrait alors laisser le Hezbollah riposter à sa place», estime un diplomate, qui rappelle la récente menace de Cheikh Nasrallah, le secrétaire général du mouvement, sur ses «12 000 fusées» pointées sur Israël. Des missiles Tow, des super Tow, des Katioushas, mais aucune preuve, de source indépendante, de la présence de Stinger ou de fusées à plus longue portée capables d’atteindre Tel-Aviv.
Le Parti de Dieu a anticipé le retrait syrien du printemps, assure Walid Charara, spécialiste du mouvement intégriste. «Il ne sera pas pris au dépourvu en cas de conflit avec Israël.» Si le Hezbollah ne dispose plus que de quelques conseillers iraniens, qui ont fabriqué le drone (NDLR : avion sans pilote) Mirza ayant survolé en mars le nord d’Israël, c’est Téhéran, en revanche, qui donnerait son feu vert à l’utilisation d’armes plus sophistiquées entre les mains des miliciens.
Avant leur retrait du Liban, les Syriens jouissaient d’un large contrôle opérationnel sur le Hezbollah. Depuis, la marge de manoeuvre des conservateurs iraniens s’est accrue. Ils ont reçu à deux reprises à Téhéran Cheikh Abdel Karim Obeid, un dur de la direction du Hezbollah, détenu de longues années en Israël.
Ces derniers mois, via l’aéroport de Damas, l’Iran a continué de livrer des armes au mouvement chiite. Elles ont été acheminées dans des dépôts situés dans le nord de la plaine de la Békaa, la base logistique du mouvement. En fonction des opérations prévues au Sud-Liban, les miliciens font ensuite «descendre» leurs armements en les répartissant dans plusieurs petites caches.
Jusqu’au retrait syrien du Liban, les routes à l’est de la Békaa par lesquelles transitaient ces armes étaient contrôlées par les troupes de Damas. Qu’en est-il aujourd’hui ? «L’armée libanaise ne s’y est pas encore déployée. Le Hezbollah reste donc maître de ses approvisionnements logistiques», constate le diplomate.
Pour contrer le désarmement des milices, exigé par la résolution 1559 de l’ONU adoptée l’an dernier, de nombreux responsables libanais prétendent que le Hezbollah incarne «la résistance face aux menaces israéliennes». Fort d’un assez large consensus autour de son statut de supplétif d’une armée, que Beyrouth s’est toujours refusé d’envoyer au sud après le retrait israélien en 2000, le Parti de Dieu est plus que jamais jaloux de ses prérogatives. «La dernière fois que des réfugiés palestiniens ont attaqué Israël, le Hezbollah recherchait les assaillants une demi-heure après», se souvient un responsable de la Finul.
Les intégristes ne rechignent pas non plus à s’entendre avec l’«ennemi sioniste». Récemment, des Palestiniens, qui s’apprêtaient à lancer les roquettes qu’ils transportaient dans le coffre de leur voiture, ont été tués par un hélicoptère israélien. «A 23 heures, il fallait être très bien renseigné», s’étonne ce responsable onusien. Après enquête, on découvrit que la sécurité libanaise avait informé les Israéliens… C’est un des points forts en effet de la milice chiite. Avec la bénédiction de Damas, elle a investi peu à peu l’appareil sécuritaire libanais. Depuis le retrait syrien, le Hezbollah redouble d’efforts pour renforcer ses positions au gouvernement, à la tête de la toute puissance Sûreté générale, ou dans les renseignements militaires de la région sud, son fief. «Il lui faut bétonner ses positions pour affronter en meilleure posture les pressions internationales sur son désarmement qui ne vont pas tarder à refaire surface», conclut le diplomate.