The New York Times, Téhéran, 5 octobre de Nazila Fathi Une lettre oubliée dans laquelle le fondateur de la révolution iranienne, layatollah Ruhollah Khomeini, évoque le besoin darmes nucléaires, vient alimenter le débat sur la poursuite des négociations avec lOccident et soulève des questions quant aux intentions nucléaires de lIran aujourdhui.
Quelques heures après la publication de la lettre vendredi sur le site Internet de lagence de presse ILNA, le mot « nucléaire » a été retiré, vraisemblablement à la demande du Conseil de la sécurité nationale dIran.
Le président Mahmoud Ahmadinejad, qui a insisté plusieurs fois sur le fait que le programme nucléaire de lIran était pacifique, a sévèrement critiqué la publication de cette lettre. « Les personnes qui pensent quelles peuvent affaiblir la volonté du peuple pour la construction et le développement, en remettant en cause leurs valeurs, ny parviendront pas, a-t-il dit dimanche, et cela ne fait que montrer leur manque de sagesse et de jugement. »
La lettre, qui avait été publiée précédemment, date de 1988, vers la fin de la guerre de lIran contre lIrak qui a duré huit ans. Elle a été à nouveau révélée vendredi par lancien président iranien, Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, pour se défendre contre ses opposants radicaux qui laccusent davoir mis fin à la guerre au moment où lIran allait lemporter.
Mais les modérés se sont eux aussi servis de cette lettre pour provoquer des négociations nucléaires avec lOccident. LIran risque des sanctions pour avoir ignoré les exigences du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour la suspension de lenrichissement duranium qui, selon les Etats-Unis, fait partie dun programme darmes.
Dans la lettre, layatollah Khomeini souligne les raisons pour lesquelles lIran devait accepter la perspective difficile dun cessez-le-feu dans la guerre, qui était arrivée à une impasse et qui avait fait près de 250 000 morts et 200 000 blessés du côté iranien. Elle nappelle pas spécifiquement au développement darmes nucléaires par lIran, mais fait indirectement référence à ce sujet en citant une lettre écrite par un officier en tête de leffort de guerre, Mohsen Rezai.
« Le commandant a déclaré que nous naurions pas de victoire dans les cinq années à venir, et même dici là, nous avions besoin de 350 ponts dinfanterie, 2500 tanks, 300 avions de combat », a écrit layatollah, ajoutant que lofficier avait également exprimé le besoin « dun nombre considérable darmes lasers et nucléaires pour répondre aux attaques ».
Layatollah Khomeini a décidé que la nation navait pas les moyens, politiquement et économiquement, de continuer la guerre et, dans un discours public célèbre, a comparé sa décision au fait de « boire un calice de poison ».
ILNA (Iranian Labor News Agency) a retiré le mot « nucléaire » dans les quelques heures qui ont suivi la publication de la lettre sur Internet, après avoir reçu un appel du Conseil de la sécurité nationale dIran, selon un journaliste de lagence. Celui-ci a insisté sur son anonymat de peur de représailles.
La lettre a été publiée dans le cadre dun débat cherchant à déterminer qui serait le plus à même de persuader layatollah Khomeini darrêter la guerre. Cette querelle indique en fait une montée de la tension entre les modérés, menés par M. Rafsandjani, et les militaires, dont linfluence se développe au sein du gouvernement du président Ahmadinejad.
« Cette lettre est une affaire de dispute nationale », a déclaré Mohammad Atrianfar, directeur du quotidien Shargh, journal de lopposition qui a été fermé le mois dernier, et conseiller proche de M. Rafsandjani. « M. Rafsandjani est très inquiet parce quil constate que des figures militaires et du renseignement veulent arriver au pouvoir et aliéner le clergé en leur reprochant les dégâts causés par la guerre. »
Les radicaux accusent M. Rafsandjani davoir révélé ce quils considèrent comme un document classé et davoir jeté le doute sur ce que beaucoup perçoivent comme une guerre sainte. Il a démenti ces accusations, affirmant que la lettre avait été rendue publique en 1988 puis publiée dans un livre.
Mais cette lettre est loccasion pour les voix modérées de mettre en garde lIran contre les risques quil prend à défier les Nations Unies, les comparant aux conséquences de la guerre contre lIrak. Ils avancent que, confronté à la réalité de la guerre, layatollah Khomeini a décidé que la confrontation nétait pas raisonnable.
Samedi, le quotidien Kargozaran, journal aligné sur M. Rafsandjani, a qualifié la lettre de preuve de « la vision réaliste de lIran de la situation internationale » et a conclu que « lexpérience devait devenir la base de la prise de décision, y compris pour les ambitions nucléaires de lIran ».
Mohsen Armin, homme politique réformiste, a déclaré que les personnalités politiques radicales qui étaient en faveur dune confrontation avec lOccident devaient retenir la leçon de cette lettre pour ne pas avoir à « boire le calice de poison » eux-mêmes, a rapporté ILNA.