AFP, Kaboul, 5 juillet – Si les autorités afghanes veulent éviter de jeter de l’huile sur le feu et tentent de minimiser les accusations américaines sur les livraisons présumées d’armes iraniennes aux insurgés, elles n’en sont pas moins inquiètent du double jeu que pourrait jouer leur grand voisin.
Des responsables afghans craignent que, derrière le soutien affiché à l’administration du président Hamid Karzai, Téhéran appuie en sous-main les rebelles.
Le secrétaire américain à la Défense Robert Gates avait déclaré le mois dernier que des quantités « substantielles » d’armes étaient expédiées depuis l’Iran aux talibans, ajoutant qu’il était difficile de croire que Téhéran ne soit au courant de rien. Des accusations rejetées en bloc par l’Iran.
Il avait également exprimé ses inquiétudes à ce sujet lors d’une visite à Kaboul, mais le président afghan Hamid Karzai avait répondu en soulignant qu’il n’y avait aucune preuve de l’implication de Téhéran et en assurant que les relations entre son pays et l’Iran n’avaient jamais été aussi bonnes.
Or, Kaboul suit « avec inquiétude les rapports » sur les livraisons d’armes iraniennes, relève le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Sultan Ahmad Baheen.
Parlant sous couvert de l’anonymat, un général du ministère de la Défense assure lui que Téhéran est au courant de ces transferts d’armes et qu’il existe des preuves à ce sujet, qu’il s’est cependant refusé de dévoiler.
« La diplomatie iranienne affiche une relation amicale avec l’Afghanistan, appuyant le gouvernement. Mais, dans le même temps, les Gardiens de la Révolution et les services secrets soutiennent les opposants politiques au gouvernement et aident les talibans », affirme ce général.
« L’Iran veut montrer aux Etats-Unis que si ces derniers ne lui donnent pas le feu vert pour son programme nucléaire, il pourrait transformer l’Afghanistan en un nouvel Irak » pour les 27.000 soldats américains déployés dans ce pays au sein de la coalition et de la force de l’Otan, selon le général.
Pour l’analyste Wahid Moujda, l’Iran pourrait acheter des armes russes et les transférer aux rebelles « sans qu’un doigt accusateur soit pointé en sa direction », mais ce pays veut « montrer » qu’il peut déstabiliser l’Afghanistan.
Déjà accusé par les Américains de soutenir le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien ou la guérilla chiite en Irak, l’Iran avait pourtant été l’ennemi du régime obscurantiste des talibans -qui avait reçu un soutien de son rival dans la région, l’Arabie saoudite- lorsqu’il régnait à Kaboul, de 1996 à fin 2001.
Les talibans, violemment anti-chiites, avaient notamment été mis en cause dans les meurtres de neuf diplomates iraniens en 1998.
Le numéro trois du Département d’Etat, Nicholas Burns, a récemment tenté d’expliquer ce revirement présumé par la formule: les ennemis de mes ennemis sont mes amis.
Quant à la volonté de Kaboul de minimiser en public les accusations américaines, Jean MacKenzie, directrice de l’Insitut pour la Guerre et la paix, l’explique par l’isolement du président Karzai « tant dans son pays qu’à l’étranger ».
« Il a déjà des problèmes avec le Pakistan voisin et il n’a pas envie de se faire d’autres ennemis », estime-t-elle.
A Hérat (ouest), un député de cette province frontalière de l’Iran, Ahmad Behzad, estime que Téhéran a intérêt à ce que l’Afghanistan reste un pays instable pour empêcher la réalisation d’un projet – maintes fois évoqué maintes fois abandonné- d’un gazoduc reliant le Turkménistan aux pays asiatiques via le territoire afghan et qui éviterait donc l’Iran.