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Affaire Clotilde Reiss : l’Elysée a exagéré la médiation de la Syrie

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Par Natalie Nougayrède

Le Monde.fr, 2 décembre –  Pendant plus de dix mois, de juillet 2009 à mai 2010, le sort de Clotilde Reiss, la jeune chercheuse française arrêté en Iran pour « espionnage », a tenu l’opinion en haleine en France, mis la diplomatie en alerte, et accentué la détérioration des relations entre Paris et Téhéran. Le tout sous le regard attentif des diplomates des Etats-Unis.

Les documents américains obtenus par WikiLeaks et consultés par Le Monde révèlent certains dessous de cette crise. Ils décrivent comment l’Elysée a expliqué sa stratégie aux Américains, allant jusqu’à leur donner des conseils pour le traitement de leurs propres crises d’ « otages » en Iran (un petit groupe de randonneurs).

Ils montrent comment les responsables français ont cherché à convaincre Washington que la libération de la jeune Française n’avait pas eu pour contrepartie la remise en liberté de Majid Kakavand, un Iranien détenu en France et recherché par la justice américaine pour trafic de matériaux au bénéfice du programme nucléaire iranien.

Enfin, ils placent sous une lumière crue la façon dont la présidence française a cherché à manipuler les médias pour accréditer l’idée que le président syrien, Bachar Al-Assad, avait joué un rôle central dans la libération de Clotilde Reiss. En réalité, il n’en fut rien.

LES « CONSEILS » FRANÇAIS AUX AMÉRICAINS

Un télégramme diplomatique rédigé le 12 août 2009 à Paris est intitulé « Iran : commentaires français sur la façon de gérer des cas d’otages ». Le conseiller de l’Elysée pour les affaires stratégiques, François Richier, accompagné du directeur du Quai d’Orsay pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Patrice Paoli, s’entretiennent avec la diplomate américaine Kathleen Allegrone.

Ils lui expliquent la méthode française. Ils conseillent aux Américains d’en faire autant pour rapatrier leurs propres ressortissants retenus de force en Iran. « Faites du bruit », disent-ils, « martelez sans cesse » dans les médias les mots « droits de l’homme fondamentaux », « innocence », « libération immédiate ». Il le faut afin d’embarrasser le régime iranien, sensible à son image.

« Faites-le d’autant plus que les Iraniens vous demandent de ne pas le faire ». Car, passées les tentatives de discussions par des canaux discrets, « le silence ne règlera rien », les Iraniens sont « maîtres en manœuvres dilatoires ». M. Richier ajoute que l’arrestation d’étrangers est « une tactique iranienne familière : la prise d’otages pour le chantage politique ».

Il annonce que la libération de prison de Clotilde Reiss (qui interviendra le 16 août, jour où elle se réfugie à l’ambassade de France) « nécessitera le versement aux Iraniens d’une large somme d’argent » (230 000 euros de caution). Et il fait savoir que l’Elysée anticipe d’autres crises d’otages, un phénomène qui « va s’aggraver ». Les Iraniens pourraient « dans un avenir proche arrêter un autre des quelques 1 800 citoyens français vivant en Iran », dit-il.

LE SOUPÇON DE CONTREPARTIE

28 août 2009. Clotilde Reiss est sortie de prison depuis douze jours, mais reste bloquée en Iran. Une information est diffusée : l’Iranien Majid Kakavand, dont les Etats-Unis réclament l’extradition pour un trafic illégal de matériel électronique sensible vers l’Iran, est remis en liberté à Paris, sur décision d’un juge.

L’ambassade américaine, comme de nombreux observateurs, s’interroge sur cette troublante coïncidence. Pour Washington, qui traque les réseaux clandestins iraniens d’acquisition de matériel destiné au programme nucléaire, l’élargissement de Majid Khakavand est une mauvaise nouvelle. La France a-t-elle accepté un marchandage ? La libération de l’Iranien contre celle de la Française ?

Lors d’un nouvel entretien avec Kathleen Allegrone, le 4 septembre, François Richier assure que ce n’est pas le cas. L’Elysée, dit-il, a non seulement « été complètement pris par surprise par la décision du juge », mais a cherché à s’y opposer. « Il y a eu des échanges vifs entre la présidence française et le garde des sceaux » (à l’époque, Michèle Alliot-Marie), mais  » le gouvernement français ne peut pas revenir sur la décision » judiciaire, observe-t-il.

M. Richier veut aussi démontrer que Majid Kakavand demeure placé sous l' »étroite » surveillance des services de renseignements français. Le conseiller de l’Elysée compose un numéro de téléphone, raccroche, puis informe la diplomate américaine que l’Iranien « est actuellement localisé dans des bâtiments à Paris gérés par l’ambassade iranienne ».

LE RÔLE FICTIF DU PRÉSIDENT SYRIEN

Durant la détention de Clotilde Reiss en Iran, l’Elysée ne ménage pas ses efforts, au moyen de communiqués et de « fuites » organisées dans les médias, pour faire croire que le président syrien Bachar Al-Assad joue un rôle « important » et « influent » de « médiateur ». Les Américains observent cette activité non sans ironie, et constatent que la manipulation porte ses fruits puisque plusieurs articles de presse répercutent la version officielle française.

Un télégramme daté du 25 août 2009 évoque « le ‘blitz’ médiatique des officiels français ». Sur quoi se fonde tant de « gratitude » exprimée envers M. Assad, se demande l’ambassade à Paris. « Malgré leurs déclarations pleines de louanges, les officiels français reconnaissent en privé qu’ils n’ont qu’une vague notion de ce que les Syriens ont réellement fait ».

Le document se penche ensuite sur les raisons qui ont poussé l’Elysée à verser dans cette fiction. L’intense effort de communication « vise à valider la politique de Sarkozy d’ouverture à la Syrie », analyse-t-il. Une politique lancée en 2008, qui « avait alors été perçue, par de nombreuses voix critiques en France et à l’étranger, comme prématurée et imméritée ».

En « exagérant le rôle syrien », Paris cherche à « démontrer à la Syrie quelles louanges elle peut s’attirer en jouant un rôle constructif dans la région ». L’objectif est aussi de « semer des graines de discorde entre la Syrie et l’Iran ». L’ambassade américaine le sait de bonne source. Le 11 août, François Richier lui a confié : « bien sûr, nous ne savons pas si les Syriens ont fait quoi que ce soit. Mais nous les avons remerciés quand même. Cela devrait au moins semer la confusion chez les Iraniens ».

Clotilde Reiss rentre en France le 16 mai 2010. Nicolas Sarkozy la reçoit à l’Elysée. Dans un communiqué, il remercie les présidents du Brésil, du Sénégal, et de la Syrie, pour leur « rôle actif en faveur de la libération de notre compatriote ».

Les télégrammes utilisés pour cet article :

http://cablegate.wikileaks.org/cable/2009/08/09PARIS1162.html
http://cablegate.wikileaks.org/cable/2009/08/09PARIS1097.html
http://cablegate.wikileaks.org/cable/2009/09/09PARIS1228.html

 

 

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