Le Figaro : 22 sept – IRAN Défiant l’ONU, le régime islamique a annoncé avoir commencé la conversion d’uranium à grande échelle
Vienne : Maurin Picard
Une crise ouverte se profile entre l’Iran et les pays occidentaux. Après dix-huit mois de tensions et de joutes diplomatiques, le régime islamique, arc-bouté sur ses velléités nucléaires, paraît plus proche que jamais de rompre les amarres avec la communauté internationale.
Dans un geste de raidissement attendu, le président iranien Mohammed Khatami a semé la consternation hier en affichant l’intention du régime de poursuivre un programme nucléaire hors de tout contrôle international. «Nous avons fait notre choix et c’est aux (Occidentaux) de faire le leur», a-t-il lancé lors des commémorations de la guerre menée contre l’Irak de 1980 à 1988. La communauté internationale doit «reconnaître notre droit naturel (à l’énergie nucléaire) (sinon) nous allons continuer sur notre voie, même si cela aboutit à un arrêt de la supervision et de la coopération internationale», a ajouté le dirigeant, tandis que défilaient devant lui des véhicules porteurs de missiles balistiques et ornés de banderoles appelant à la destruction d’Israël et des États-Unis.
En parallèle, l’Iran a annoncé simultanément avoir commencé la conversion de plus de 40 tonnes de yellow cake (du minerai d’uranium) en hexafluoride d’uranium gazeux (UF6), première étape vers un processus complet d’enrichissement d’uranium et la fabrication d’armes nucléaires. «Les tests se passent avec succès», s’est félicité le vice-président iranien Reza Aghazadeh. L’uranium enrichi dans des centrifugeuses suffisamment modernes peut donner du combustible nucléaire pour de l’énergie civile, s’il est produit à de faibles taux, mais aussi pour une bombe atomique, si le taux d’enrichissement est supérieur à 80%. Or, à la suite d’un premier blâme reçu en juin dernier au siège de l’AIEA pour «mauvaise coopération», l’Iran avait déjà renoncé à une autre mesure de confiance, le moratoire sur la production de centrifugeuses de type P2, dont l’assemblage paraît désormais avoir repris. Ces machines, dont l’Iran disposerait déjà de plusieurs centaines d’exemplaires opérationnels, pourraient servir, moyennant de légères modifications, à des fins militaires.
Trois jours après la fin de la réunion de l’AIEA, la situation ne prête donc guère à l’optimisme. Sur la base d’un texte conjoint euro-américain, l’organe exécutif de l’AIEA avait alors voté à l’unanimité une résolution sévère, déclenchant la fureur du pouvoir iranien. Le texte, qui exprimait les inquiétudes de la communauté internationale, donnait jusqu’au 25 novembre à Téhéran, pour «clarifier impérativement les questions restées en suspens» et, à titre de bonne volonté, interrompre toutes les activités liées à l’enrichissement de l’uranium. Le responsable du nucléaire iranien, Hassan Rohani, avait alors brandi la menace d’une telle rupture avec l’AIEA, arguant que l’Iran a besoin de cet enrichissement pour produire de l’électricité. «L’Iran n’acceptera aucune obligation de suspension de l’enrichissement d’uranium, s’était-il emporté. Aucune instance internationale ne peut (le) contraindre à le faire». «C’est la guerre, nous pouvons la gagner ou la perdre», a-t-il prophétisé, évoquant la prochaine et décisive réunion de l’AIEA.
Habitués aux valses hésitations des Iraniens depuis près d’un an, les diplomates occidentaux savent désormais à quoi s’en tenir. Jusqu’ici, Téhéran s’était toujours retranché derrière une attitude ambiguë, faisant le jeu de ses contempteurs, les États-Unis et Israël notamment, persuadés de ses intentions belliqueuses. Le régime pratiquait un discours à double sens, fondé d’un côté sur la proclamation d’intentions pacifiques et son opposition à l’arme nucléaire «car c’est contraire à notre religion et notre culture», selon le président Khatami ; de l’autre sur la glorification de la puissance militaire, facteur de dissuasion face à «toute agression». Une allusion directe à Israël, qui disposerait selon les experts de 200 têtes nucléaires, mais nie posséder une telle capacité.
Si le durcissement du régime iranien constitue un camouflet pour la politique de «containment» (endiguement) de l’Administration Bush, la désillusion est plus lourde encore pour la diplomatie européenne, qui agissait jusqu’ici comme une force de modération, mais à bout de patience, pourrait bien unir ses forces avec son homologue américaine face à l’Iran.