PROLIFÉRATION
Paris, Londres et Berlin veulent donner jusqu’à novembre à Téhéran pour prouver sa bonne foi
Le chef de la diplomatie française, Michel Barnier, a confirmé hier le prochain dépôt par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne devant l’AIEA d’un «projet de résolution» donnant à l’Iran jusqu’à novembre pour faire la lumière sur son programme nucléaire. M. Barnier n’a pas exclu que le dossier soit transmis au Conseil de sécurité des Nations unies en cas de non-coopération de Téhéran, comme le réclament les Etats-Unis. «Nous continuons de penser que la voie d’un arrangement politique est possible avec l’Iran», a-t-il déclaré, en marge d’une réunion avec ses homologues de l’Union européenne à Bruxelles. Le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, a indiqué hier à Vienne que son agence ne s’était pas fixé de date butoir, malgré l’impatience manifestée par les Américains et les Européens.
Vienne : Maurin Picard
La réunion du conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), censée statuer sur la nature du programme nucléaire iranien, a débuté hier à Vienne dans un calme précaire. Tandis que des pourparlers tendus se déroulent en coulisses entre Américains, Européens et Iraniens, la présentation officielle du dernier rapport des experts de l’agence, le sixième depuis mars 2003 sur l’Iran, devrait débuter demain et donner lieu à une rude joute oratoire entre les représentants de Téhéran et Washington.
Les premiers clament leur innocence et assurent que leur programme est exclusivement destiné à des fins civiles. Ils souhaitent que cessent les inspections de terrain entamées il y a dix-huit mois et que le dossier iranien soit définitivement classé par l’AIEA. Les seconds les accusent de poursuivre un seul et unique but, l’obtention de l’arme nucléaire. Jugeant que les inspections ont échoué, ils exigent des 35 gouverneurs de l’AIEA une résolution sévère, premier pas vers une saisine du Conseil de sécurité et des sanctions internationales.
Il est peu probable cependant que l’Iran soit traîné devant le Conseil de sécurité, faute de preuves irréfutables. Le rapport des inspecteurs, rendu public le 1er septembre, ne conclut pas à sa culpabilité avérée, louant même les «progrès solides» en matière de coopération, mais ne l’absout pas totalement, du fait de soupçons persistants.
L’Iran ne s’en cache même plus : il revendique le droit de compléter la totalité du cycle nucléaire. Comme en attestent la reprise de la production de centrifugeuses P2, de technologie avancée et capables d’enrichir l’uranium à des taux militaires (80%), et l’annonce faite de procéder, avant la fin de ce mois, à la conversion de 37 tonnes de yellow cake (minerai concentré d’uranium naturel) en hexafluorure d’uranium (UF6). Deux mesures jugées préoccupantes car disproportionnées au regard d’un programme civil.
Certes, le rapport conforte l’argumentaire iranien lorsqu’il admet que des traces d’uranium enrichi à 36 et 54%, prélevés sur des sites à Natanz et Téhéran, pourraient provenir d’équipements importés du Pakistan, et non d’expérimentations proprement iraniennes. L’Iran a également autorisé les inspecteurs à visiter le site controversé de Lavisan-Shian, en banlieue de Téhéran, un centre de recherches officiellement chargé d’étudier «les accidents liés à des attaques nucléaires» et récemment rasé, mais que les Etats-Unis, sur la foi d’images satellite, jugent hautement suspect.
Mais ces mesures d’apaisement ne peuvent estomper les autres motifs d’inquiétude, eu égard aux «explications peu convaincantes» fournies par les Iraniens, selon l’AIEA. Les experts peinent à croire en particulier que l’Iran ait interrompu toute recherche sur les centrifugeuses P2 de 1995 à 2002.
Les Européens, confrontés à l’entêtement de Washington et à la mauvaise foi de Téhéran, assurent vouloir maintenir une position «claire et ferme». Ils devraient cette semaine promouvoir une «clause de rendez-vous» : attendre le rapport de synthèse promis par le directeur général de l’AIEA, Mohamed ElBaradei, pour le prochain conseil des gouverneurs, qui doit se tenir le 25 novembre prochain. «Nous sommes les seuls à pouvoir bâtir un compromis et éviter une crise internationale, philosophe un diplomate européen. Mais ce ne sera pas facile.»