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Iran – Salon du livre à Téhéran sur fond de répression et de censure

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Le salon international du livre qui se tient du 6 au 16 mai dans la capitale iranienne aura attiré cette année une délégation française, dont le commissaire général du salon du livre de Paris Bertrand Morisset et le mathématicien Cédric Villani (lauréat de la médaille Fields 2010) qui présente des conférences à Téhéran et Ispahan.

En consacrant une journée à la France, les autorités iraniennes ont lancé une opération de charme à l’intention de leurs hôtes.

Une opération qui n’a pas laissé insensible certains interlocuteurs, à en croire les médias iraniens comme le Club de la presse – une agence liée à la radiotélévision d’Etat. Ce dernier rapporte les impressions de Bertrand Morisset qui découvre l’Iran : « Quand je me promène dans les rues de l’Iran, je me sens tranquille (…)  Toutes les informations qui disent du mal de l’Iran sont fausses et je sens vraiment une satisfaction en Iran ». 

L’agence ISNA a attribué à M. Morisset des propos indiquant que son objectif « c’est de pouvoir retourner en France pour annoncer que la ville de Téhéran sera la prochaine invitée spéciale du salon du livre de Paris [en 2016]». Les autorités ont jubilé à l’idée que Téhéran sera un sponsor de la prestigieuse manifestation littéraire de Paris, avec la participation de Bagher Ghalibaf, son redoutable maire. Nourrissant des rêves encore plus ambitieux, les autorités islamistes ont précisé qu’en 2017 ce sera au tour de l’Iran d’être le pays « invité spécial » du salon du livre de Paris.

Le régime iranien a crié « victoire ». Or il est régulièrement mis en cause par les organisations de défense des droits de l’homme pour l’absence de liberté, la torture systématique, les meurtres des opposants et des militants de la société civile. Il avait donc bien besoin de cette bouée de sauvetage pour estomper son image exécrable sur la scène internationale et sortir de son isolation intérieure.

Quant au général Ghalibaf, maire depuis 2005, il a été commandant en chef de l’armée de l’air des pasdaran (l’armée idéologique du régime). Mais il est surtout détesté en Iran pour avoir dirigé les forces de sécurité de l’État et avoir violemment réprimé la révolte étudiante en 1999. Après le soulèvement post-électoral de 2009, il a vanté son bilan à la mairie de Téhéran et déclaré que parmi les cinq organes de sécurité du régime, celui de la capitale s’était placé en troisième position dans l’écrasement des manifestants. La répression de la révolte qui a duré un an et a failli renverser le régime en décembre 2009, avait fait des dizaines de morts et des milliers d’arrestations, sans parler des victimes de la torture.

 

Une visite sur fond de répression

Hélas, la vitrine du salon du livre a aussi un revers que la délégation française ne peut ignorer. Dès le premier jour, près d’une quarantaine de livres ont été retirés des stands. Le quatrième jour, 29 éditeurs ont été contraints de fermer leur espace pendant 24h et ont été rayés des listes de l’an prochain. Cette visite se déroule alors que le poète satirique Mohammad-Reza Ali-Payam est incarcéré à la sinistre prison d’Evine. L’an dernier, lors du même événement, deux autres poètes iraniens Mehdi Moussavi et Fatemeh Ekhtessari moisissaient en prison … pour avoir déclamé des odes post-modernes !

Le responsable de ces forfaits n’est autre que le ministère de l’Orientation islamiste (Erchad), l’hôte de nos illustres français à Téhéran. L’Erchad qui est chargé de la censure des livres, des films et de la presse, a fermé l’an dernier l’édition « Nassira », et le propriétaire Babak Abazari a été noyé de manière suspect aux dires du milieu littéraire iranien.

Le ministre de la Censure, Ali Janati, avait revendiqué le 8 janvier ce rôle pour son ministère : « le rôle de l’Erchad est d’empêcher la diffusion de livres qui empoisonnent la société ». Ce ministre de Hassan Rohani a interdit en vingt mois la publication de près de 500 romans. Il va jusqu’à demander aux clergés de Qom de définir les sujets et les contenus que les écrivains doivent aborder ! 

Le poète Akbar Exire dénonce le faible nombre de publications de livres en Iran à cause de la censure et l’absence de reconnaissance des auteurs en raison du non respect du copyright par les autorités. Des écrivains et les lecteurs iraniens se plaignent de voir des traductions de livres étrangers réduites d’un tiers en raison des passages supprimés par l’ignorance abyssale des mollahs de l’Erchad. Selon une enquête de la Société de la maison du livre, alors qu’au lendemain de la révolution, le nombre de publications par an était de 11.363, en 2013 il se hissait péniblement à 2.075.

Dans ces conditions, on comprend que les autorités se réjouissent de la présence de la délégation hexagonale. C’est vrai que l’une des missions du lobby iranien en France, dont l’absence de scrupules n’a pas manqué de nourrir ces derniers temps son activisme, est de redorer le blason de son mentor. Ce n’est pas sans raison que le responsable de l’organisation du salon du livre au ministère de la Culture islamiste, Amir-Massoud Chahramnia, a déclaré cette semaine à Téhéran, avec un optimisme suspect : « Nous avons demandé en contrepartie que l’Iran puisse participer en tant qu’invité spécial du salon du livre en France, car à l’heure actuelle le fait que l’Iran devienne l’invité spécial du salon de Paris revêt une importance considérable. Nous avons organisé une rencontre de M. Morisset avec des éditeurs iraniens. Il était dans un état d’esprit positif ».

Comment le monde culturel et intellectuel français pourrait avoir la conscience tranquille en accueillant un bourreau comme le général des pasdarans Ghalibaf au prochain salon du livre même ceint d’un écharpe de maire, alors que de nombreux intellectuels iraniens sont en prison et des centaines d’auteurs sont censurés chaque année dans ce pays ?

Les intellectuels et militants des droits de l’homme en Iran déplorent l’instrumentalisation des personnalités françaises par la dictature religieuse et rappellent que l’Iran détient le palmarès du plus grand nombre de pendaisons par tête d’habitants au monde. Il faut éviter de tomber dans le piège des lobbies mesquins qui cherchent à donner une fausse image de la réalité iranienne.

Partir en Iran sans soulever la question des violations des droits humains et ne pas chercher à entrer en contact avec l’Iranien ordinaire sans le contrôle de la gestapo des mollahs, n’offre aucune possibilité de connaître les vrais enjeux de ce grand pays, ni la réalité de sa société. Par contre, cela verse de l’eau au moulin des mollahs qui en ont grand besoin pour se maintenir debout.

 

 

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