La Tribune de Genève: Par Mostafa Naderi * ; Il avait une façon de parler impossible à oublier, vulgaire, nerveuse, et une voix monotone, à chaque fois quil se trouvait devant un prisonnier qui refusait dobéir, il se mettait à linsulter en lhumiliant et à le frapper.
A lépoque son visage métait inconnu. Javais les yeux bandés quand il entrait dans la cellule pour emmener un compagnon sous la torture. Il nous était interdit de regarder ces pasdarans (gardiens de la révolution).
On était en 1981, dans la section 4 de la prison dEvine à Téhéran. Jétais prisonnier, javais 19 ans, lui, il était geôlier. Il se faisait appeler le Dr Mirzaï. Je savais pourtant que ce nétait pas son vrai nom. Tous les tortionnaires avaient un alias de peur dêtre reconnus par les résistants. Cétait un jeu didentifier les geôliers et de donner leur identité aux autres détenus dans lespoir que quelquun, échappé de cet enfer, les dénonce. Beaucoup nont jamais pu sortir. Ces terribles années 80, où chaque soir, par centaines, des vagues de prisonniers souvent jeunes, très jeunes, étaient exécutés pour leur opposition.
On mavait arrêté comme beaucoup dautres pour un rien : avoir vendu en public des publications des Moudjahidine du peuple. Cela ma valu douze ans de prison à Evine et à Ghezel Hessar. Dont cinq années et demie en isolement. Une épreuve tellement terrible quau bout de quelques mois, jen ai oublié lusage de la parole. Un jour mon compagnon de cellule Mehdi Vossoughian, un étudiant de Polytechnique, arrêté à lâge de 20 ans, ma fait part de sa découverte. Cétait en 1987. Il ma annoncé au retour dune séance de torture que le Dr Mirzaï se nommait Mahmoud Ahmadinejad. A lépoque, ce nom ne me disait rien et pas davantage à Mehdi, qui prenait un grand risque en me communiquant lidentité dun tortionnaire. Mehdi Vossoughian a été exécuté en 1988 dans le massacre des prisonniers politiques, surtout les Moudjahidine. En quelques mois plusieurs milliers dhommes et de femmes ont été exécutés, cest la solution finale décrétée par Khomeiny. Selon Reza Malek, lancien adjoint de la Division des recherches du ministère des Renseignements, 33.700 personnes ont été exécutées et enterrées dans des charniers.
Pour tester les repentis, la fidélité des pasdarans, voire parfois des ministres et des députés avant leur promotion, on les obligeait à donner des coups de grâce. Celui qui refusait nétait donc pas fiable. Ahmadinejad létait, puisquon le surnommait « lhomme aux mille coups de grâce ». Une fois libéré, plusieurs anciens prisonniers qui ont été directement traités par Mirzaï en prison, mont confirmé son identité. Ces années sont gommées de sa biographie officielle et maintenues dans le flou. Alors quil traversait lenceinte de lONU, je suis venu à Genève pour faire entendre mon témoignage. Je connais au moins une dizaine danciens prisonniers qui sont prêts à témoigner dans un tribunal international où, je lespère, il sera jugé avec les dirigeants de cette dictature religieuse pour crimes contre lhumanité.
En attendant, jappelle les autorités suisses et les démocraties occidentales à plus de retenue et de vigilance à légard dun régime qui doit rendre des comptes sur ses crimes. Rien, ni les relations diplomatiques, ni le protocole, ni la logique des intérêts mercantiles, ne justifie de serrer la main et daccueillir Ahmadinejad, alias le Dr. Mirzaï, comme un chef dEtat parce quil ne représente pas le peuple iranien, il incarne un affront.
* Militant des droits humains, sympathisant des Moudjahidine du peuple iranien (OMPI)