NewsResistanceL'avenir de l'Iran se décidera-t-il dans la rue ?

L’avenir de l’Iran se décidera-t-il dans la rue ?

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ImageLe Monde : par Mirza Bozorg  – Le 7 décembre/16 azar, célébration de la Journée de l’étudiant, les Iraniens sortiront à nouveau dans la rue pour clamer leur rejet du pouvoir illégitime en place et relancer leur lutte démocratique contre la junte et l’islam milicien d’Ahmadinejad. Depuis l’historique journée de protestation nationale du 15 juin 2009 – où des millions de citoyens vinrent spontanément dans les avenues de la capitale pour dire merde à Ahmadinejad et à la clique de tricheurs qui tenaient à imposer cet "illuminé" à la présidence – , la majorité des citadins et le mouvement  des Verts viennent régulièrement dans la rue pour manifester à la barbe des forces répressives leur opposition au régime putschiste.

Même si comparaison n’est pas raison, on se rappellera que le renversement de la monarchie en 1979 fut préparé par une succession de protestations populaires qui obligèrent le chah à céder à la pression de la rue en moins d’un an.

D’ailleurs, ce processus semble bien caractériser la logique des régimes totalitaires : ne pouvant satisfaire les revendications légitimes du citoyen, ceux-ci tentent de bloquer les canaux d’expression de la volonté populaire, de réprimer les droits fondamentaux des gens, dont leur liberté de parole et, par conséquent, la vox populi n’a donc plus qu’un choix pour se faire entendre : c’est de descendre dans la rue !

Depuis plus de cinq mois, c’est ce que fait courageusement la majorité des Iraniens, malgré les violences de la milice islamique, les emprisonnements et les procès arbitraires. La teneur des slogans du mouvement démocratique a maintenant changé car il ne s’agit plus de protester contre les élections frauduleuses ou de conspuer vivement chaque soir Ahmadinejad, le mini-dictateur.

Aujourd’hui, la récente manifestation du 4 novembre/13 aban l’a montré – des effigies du guide Khamenei ont été déchirées puis piétinées –, c’est bien le régime islamique qui est visé ! L’islam politique instauré en 1979 par Khomeyni et militarisé par la junte putschiste actuelle n’est plus l’aspiration nationale. On peut avancer que les trois quarts de la population veulent un système de gouvernement autre que ladite gouvernance du légiste (velayat-e faghih). Les conditions de possibilité de ce changement semblent se réunir vu que le gouvernement milicien d’Ahmadinejad ne dispose plus d’assise sociale solide et se doit d’imposer par la force ou la menace ses objectifs. On peut parler de son isolement croissant :

– à l’intérieur, où les dissensions au sein du bloc au pouvoir (entre ultra-conservateurs, junte du Sépah et entourage de Khamenei) s’accentuent, comme l’indique la politique sans queue ni tête du pouvoir dans tous les domaines : aussi bien sur les questions économiques, le dossier  nucléaire, que l’emploi modulé de la répression contre l’opposition réformiste, les propos des dirigeants et des parlementaires s’opposent à ceux des militaires du Sepah (Gardiens de la révolution) qui n’ont pas peur même de contredire le guide Khamenei. Cette confusion tous azimuts se retrouve aussi dans les allégations officielles concernant la subite disparition de Kordan – l’ex- ministre de l’intérieur qui avait acheté des titres universitaires bidon, vient de mourir d’un cancer ?! – ou le suicide inattendu du malheureux médecin de la prison de Kahrizak – en juillet, nombre de jeunes y ont été violés, battus ou assassinés –, brusques décès qui prêtent à des rumeurs contradictoires et font penser que les autorités ne se gênent
pas avec les personnes jugées gênantes ! Ajoutons le dernier boniment de cette semaine : le porte-parole du gouvernement est venu annoncer, sans peur du ridicule, que le blocage du compte personnel du Prix Nobel de la paix, Chirine Ebadi, a été décidé parce qu’elle n’avait pas payé ses impôts !

– à l’extérieur, tant sur le plan régional qu’à l’échelle internationale, l’élection contestée du président Ahmadinejad et la répression brutale des manifestations ont discrédité encore plus le régime islamique, dont l’image était déjà bien terne. Au sein du monde occidental ou arabe, il affiche un profil bas, compte tenu de ses ingérences au Yémen ou ailleurs, de ses divers essais  de missiles de longue portée, et de son double jeu dans la question du nucléaire (le site caché de Qom dénoncé par l’Agence internationale de l’énergie). Après pas mal de tractations et de gages réciproques, Obama a pu convaincre les Russes et les Chinois du danger de laisser cette junte agressive, prônant une idéologie islamique extrémiste, disposer d’un arsenal atomique.

Si les nouvelles sanctions des grandes puissances se trouvent vite avalisées par le Conseil [de sécurité] des Nations unies, elles auront des répercussions notables sur l’économie du pays et sur le panier de la ménagère et, cet hiver, la junte au pouvoir aura bien du mal à fermer l’œil car des réactions sociales d’envergure peuvent éclater.

Isolé de plus en plus à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, objet d’une double pression au niveau national et international, qui va probablement s’amplifier au cours des mois suivants, que va faire le gouvernement milicien d’Ahmadinejad face à cet étau qui se resserre ?

En fait, lorsqu’un pouvoir ne sait plus où donner de la tête, quand il se trouve acculé sur divers fronts, généralement il sombre dans la fuite en avant et la politique du pire. Aussi, il faut s’attendre à ce que la junte islamique intensifie sa répression contre l’opposition populaire et son hostilité à l’égard de l’Occident et des institutions internationales, d’autant plus que les régimes de ce type croient trouver dans la violence, la confrontation ou la guerre une solution provisoire à leurs contradictions.

De toute façon, à tous les échelons, la bataille intérieure se développe contre l’islam milicien d’Ahmadinejad, comme le confirme l’annonce du retrait de l’éminent ayatollah Javadi Amoli, qui vient d’abandonner ses responsabilités à Qom. Ainsi, on voit que le clergé se distancie progressivement du pouvoir actuel car, à ses yeux, la junte militariste du Sepah est en train d’anéantir l’islam chiite traditionnel pour instaurer la religiosité extrémiste et messianique prônée par la secte hojjatiyé, minorité dénoncée au début de la révolution par le le fondateur de la République islamique, Khomeyni. Cette idéologie style Ben Laden défend  l’islamisation à outrance des institutions et des âmes.

D’ailleurs cette semaine, le guide décrié Khamenei a chargé Haddad, l’universitaire honni des étudiants, du projet d’islamisation des sciences sociales. Un truc dans la foulée des Khmers rouges, qui, rappelons-le, haïssaient aussi bien les sciences sociales que le monde urbain et moderne ! Mais après près de trente ans de khomeynisme, l’islamisation forcée du pays n’a aucun sens. Les étudiants, les jeunes et tous les Iraniens qui vont descendre dans la rue le 7 décembre puis les mois prochains (Achoura, commémoration du martyre de l’imam Hosseyn ; 22 bahman/11 février, anniversaire de la révolution) ne manqueront pas de clamer à la clique d’Ahmadinejad qu’ils ne veulent rien d’autre qu’un nouvel avenir.

Mirza Bozorg est un universitaire iranien.
LEMONDE.FR | 04.12.09

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