Courrier International, 25 janvier – Au grand dam du président américain George W. Bush, les Irakiens renforcent leurs liens avec leurs voisins iraniens, observe le Los Angeles Times.
A l’heure où les Etats-Unis font monter la pression verbale et renforcent leurs troupes pour contrer l’influence iranienne en Irak, le gouvernement irakien consolide ses relations avec Téhéran.
Hoshyar Zebari, le ministre des Affaires étrangères irakien, a déclaré le 15 janvier, en réaction à un raid américain effectué le 11 janvier contre le bureau de la représentation iranienne d’Erbil, dans le nord de l’Irak, que son gouvernement projetait de transformer ce type de bureau en consulat et de négocier la création de points de passage supplémentaires à la frontière avec l’Iran.
L’armée américaine détient toujours cinq Iraniens capturés au cours de ce raid. Selon le général George W. Casey Jr, qui commande les troupes américaines en Irak, les dossiers saisis lors de l’opération et les déclarations des captifs montrent que l’un d’entre eux au moins travaillait pour les services de renseignements iraniens. Pour l’Irak, qui, comme Téhéran, demande la libération des cinq hommes, l’impasse qui a suivi le raid traduit l’ingérence des Etats-Unis dans les affaires irakiennes.
« Nous, les Irakiens, nous avons nos intérêts propres », a déclaré M. Zebari lors d’un entretien. « La géographie nous contraint à vivre avec l’Iran », a-t-il expliqué avant d’ajouter que le gouvernement irakien souhaitait procéder avec les Iraniens « de façon constructive. »
Ces remarques de M. Zebari, survenues deux jours seulement après l’annonce de la signature d’un accord de sécurité entre l’Irak et l’Iran, reflètent les divergences croissantes entre les conceptions du gouvernement irakien et celles du gouvernement Bush. Le gouvernement américain a rejeté les conclusions du Groupe d’étude sur l’Irak, qui le pressait d’ouvrir des pourparlers avec l’Iran et la Syrie. Il accuse aujourd’hui l’Iran de semer l’anarchie et la violence dans la région. Et le gouvernement américain s’oppose à la présence en Irak de fonctionnaires iraniens et en particulier de gardiens de la révolution.
En revanche, pour l’Irak, l’Iran est le premier partenaire commercial et une source essentielle de revenus touristiques, en particulier grâce aux milliers de pèlerins chiites qui se rendent chaque année dans les villes saintes de Nadjaf et Kerbala. Une grande partie de l’économie de la région semi-autonome du Kurdistan irakien, dans le nord du pays, repose également sur le commerce avec l’Iran et sur la contrebande à destination de la République islamique. Depuis la fondation de la théocratie iranienne, en 1979, le Kurdistan est en effet devenu une zone de transit pour l’alcool, les films et les antennes satellites.
Le raid contre le bureau de la représentation iranienne, qui délivrait des visas et d’autres documents aux Irakiens désireux de voyager en Iran, a touché au cur l’économie du Kurdistan, dont les liens commerciaux avec Téhéran étaient justement facilités par ce bureau.
Et faire des affaires avec l’Iran, c’est également faire des affaires avec les gardiens de la révolution, qui contrôlent les frontières iraniennes. Hassan Kazemi Qomi, l’ambassadeur d’Iran en Irak, est un ancien membre de cette institution, qui a été créée par le grand ayatollah Ruhollah Khomeyni pour soutenir la révolution islamique. Les Kurdes d’Irak ont même combattu aux côtés des gardiens de la révolution contre Saddam Hussein pendant la guerre qui a opposé l’Iran à l’Irak de 1980 à 1988. Jalal Talabani, le président irakien, qui est kurde, a déclaré un jour qu’il avait organisé des opérations militaires contre Saddam Hussein avec Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien controversé.
M. Khalilzad, l’ambassadeur des Etats-Unis en Irak, n’oublie pas ce passé, mais il est temps, selon lui, que l’Irak coupe tout lien avec ce genre d’organisation. « L’Irak est différent maintenant. Il ne peut pas et ne doit pas avoir de relations avec les organismes de sécurité des Etats voisins qui travaillent contre les intérêts du nouvel Irak. » Pour les Irakiens et les Kurdes opposés à la détention des cinq Iraniens, le raid américain fait passer le gouvernement irakien pour un pantin entre les mains des Américains.
Louise Roug et Borzou Daragahi, Los Angeles Time