Libération, 5 avril – La précédente visite de Mohammed Khatami à Paris, en octobre 1999, avait été marquée par un formidable déploiement policier et médiatique. Fin de règne oblige, celle que le président iranien effectue actuellement il est arrivé hier et repart ce soir dans la capitale française est cette fois placée sous le signe d’une extrême discrétion.
Utilisation pacifique.
Venu pour participer à une conférence internationale sur «le dialogue entre les civilisations» au siège de l’Unesco, le dirigeant politique n’en rencontrera pas moins cet après-midi Jacques Chirac pour un entretien qui devrait être dominé par la question nucléaire. Hier, il se trouvait d’ailleurs à Vienne siège de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) où il a fait savoir que son pays espérait toujours arriver à un accord avec l’Union européenne permettant une utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. Les négociations avec la troïka européenne France, Allemagne et Grande-Bretagne achoppent toujours sur la volonté de Téhéran d’enrichir l’uranium, ce que refuse l’UE. Les négociateurs européens et iraniens doivent se retrouver la semaine prochaine et la troïka demande à l’Iran de maintenir la suspension de l’enrichissement en échange d’une coopération économique, commerciale et politique.
Sur le dossier nucléaire, le président iranien ne fait plus guère autorité. C’est un homme sur le départ. En juin, se déroulera un scrutin présidentiel auquel la Constitution lui interdit de se représenter pour un troisième mandat. La question nucléaire risque d’être l’un des enjeux dominants peut-être même le principal de la campagne électorale qui devrait commencer début mai. Tous les candidats devraient en faire leur cheval de bataille. Sur un sujet aussi brûlant, on voit donc mal la position de Téhéran évoluer d’ici l’élection d’un nouveau président.
Tout est donc suspendu dans l’attente de ce scrutin marqué par une pagaille sans précédent dans le camp conservateur où les candidatures se multiplient. Khatami, qui a toujours voulu que son pays noue de solides relations avec l’Europe, devrait profiter de son séjour pour rassurer son homologue français. «Il a le souci de faire disparaître les suspicions nées des violations du Traité de non-prolifération par l’Iran, de reconstruire la confiance», souligne un expert iranien des questions stratégiques.
Négociations.
Le 16 mars, en visitant le site nucléaire d’Ispahan, Khatami avait pris soin de déclarer qu’aucune contrepartie ne convaincra jamais la République islamique de renoncer définitivement à l’enrichissement de l’uranium. «Nous ne pouvons nous en remettre à d’autres qu’à nous-mêmes pour la fourniture d’un combustible dont nous pourrions nous retrouver privés sous n’importe quel prétexte», ajoutait-il une semaine avant une importante négociation avec les Européens. Une façon de marquer le terrain par rapport à son successeur. A Paris, il plaidera naturellement pour la poursuite des négociations même si celles-ci n’ont que peu de chances d’aboutir dans les prochains mois. La troïka européenne a la même préoccupation : faire durer les négociations pour éviter toute rupture qui entraînerait la saisine du Conseil de sécurité, ce qu’elle ne souhaite pas.
Les Américains eux-mêmes, qui ont placé la Syrie au centre de leurs préoccupations et qui ne préfèrent pas envenimer leurs relations avec l’Iran à cause de la situation en Irak, ne sont pas non plus pressés d’aller vers une confrontation ouverte avec Téhéran. Washington semble se satisfaire de ce que les négociations n’en finissent pas de finir. L’extrême discrétion de la visite du président iranien la fait davantage ressembler à un séjour privé qu’à un déplacement officiel. Il faut dire aussi que l’enthousiasme qui avait fait saluer par les pays européens sa volonté réformatrice est bel et bien mort.