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L’Iran traverse une période périlleuse tant sur le plan économique, que social et régional (Interview)

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L’Iran traverse une période périlleuse tant sur le plan économique, que social et régional (Interview)

L’accord nucléaire historique entre l’Iran et les grandes puissances a enfin abouti à la levée des sanctions internationales contre l’Iran. Après cette annonce faite à Vienne le week-end dernier, peut-on être optimiste sur l’avenir ? À la veille de la visite en France du Président du régime iranien, Iran Focus a voulu aller plus loin en interrogeant l’auteur d’un livre récent sur Hassan Rohani. 

Bertrand Delais, écrivain et documentariste, est l’auteur d’un ouvrage intitulé : L’étrange M. Rohani ; retour sur les premières années d’un magicien, récemment paru aux éditions Les Presses Du Midi (143 pages).

« Rohani est-il finalement un « pragmatique modéré » ou un magicien qui vient, dans l’ombre du Guide Suprême religieux, illusionner le monde pour prolonger la survie d’un système en fin de course ? ». Voici l’interrogation centrale à laquelle l’auteur tente de répondre, dans un ouvrage qui tombe à point nommé quelques jours avant la visite du président du régime iranien en France le 27 janvier prochain.

Est-ce que le président iranien Hassan Rohani a gagné son pari ?

Si au début du mandat d’Hassan Rohani, certains à l’étranger ont émis quelques espoirs (avec parfois beaucoup d’exagérations) quant à la possibilité de réforme et de changement au sein du régime, après deux ans et demi de gouvernance, aucun signe notable de changement ou de réforme ne pointe à l’horizon. La seule évolution à son actif concerne la signature de l’accord nucléaire pour suspendre le programme militaire illicite des Pasdaran.

Un accord qui n’aurait toutefois pas vu le jour sans l’aval du Guide Suprême du régime, qui a le dernier mot sur les affaires de l’État. Ce dernier avait grandement besoin de la levée des sanctions internationales pour sauver l’économie, ainsi que pour obtenir les ressources nécessaires pour continuer l’aventurisme militaire du régime dans la région et préserver ce qu’il appelle « l’axe de la résistance » (Irak, Syrie, Liban, Yémen…). Rohani et le Guide Suprême avaient misé sur l’amélioration de la situation économique du pays ; or, la situation s’est plutôt dégradée par rapport au début du mandat de Rohani. La perspective d’avenir est plutôt sombre pour le régime.

Quelle est la situation économique de l’Iran, et a-t-elle le potentiel pour devenir l’Eldorado que l’on nous dépeint parfois ?

Dans son dernier rapport sur l’économie iranienne, en octobre 2015, le Fonds Monétaire International estime que l’économie iranienne n’a pas de perspectives sans réformes structurelles profondes. Selon les économistes du FMI, qui s’étaient rendu en visite en Iran, l’économie iranienne est confrontée à de sérieux défis structurels : pour profiter de la levée des sanctions et stabiliser l’économie iranienne à moyen terme, des réformes structurelles profondes sont nécessaires.

Le taux de chômage restera aux alentours de 10 %, la croissance sera négative de -0.5 % et le taux d’inflation montera à 14 % avant la fin de l’année iranienne (mars 2016). Les risques pour l’économie iranienne sont élevés et l’amélioration de la situation à long terme dépendra de la profondeur et de l’étendue de ces réformes, qui devront renverser la courbe d’une croissance économique négative, un taux d’inflation élevé, une formation de capital minime, mettre fin à la monopolisation de pans entiers de l’économie par les militaires (Pasdaran), à l’augmentation inquiétante des liquidités, au dysfonctionnement du système bancaire, à la vétusté de l’industrie pétrolière et à la crise de l’eau qui frappe durement le pays.

Est-ce qu’investir dans ce régime serait un bon investissement, où est-ce un grand risque à prendre pour les entreprises ?

En octobre dernier, quatre ministres iraniens ont écrit à Hassan Rohani pour demander un changement de politique économique et ainsi éviter une crise profonde provoquée notamment par la chute des prix du pétrole. Les ministres de l’Économie, de l’Industrie, du Travail et de la Défense, affirment dans leur lettre que « la chute du prix du pétrole, celle de produits essentiels, notamment les métaux, et certaines décisions économiques et politiques du pays ont abouti à une baisse sans précédent de la Bourse de Téhéran (l’indice de la Bourse a chuté de 42% » depuis fin 2013) et il existe un risque de « crise profonde » ».

Alors que l’Iran bénéficie d’immenses ressources économiques et humaines, l’amélioration de la situation économique et sociale de ce grand pays dépendra fortement des changements politiques et des réformes économiques majeures. Selon les observateurs, le caractère « idéologique » du système iranien rend difficile tout pari sur ses capacités de réformes politiques et économiques. La réforme de l’économie passe par la remise en cause de l’emprise des Pasdaran, tout comme la réforme de la politique iranienne passe par la remise en cause de l’emprise du Guide Suprême religieux. Une éventualité inconcevable pour le régime islamiste, ce qui rend inextricable la problématique iranienne et dissuade tout placement dans son avenir.

Les entreprises françaises risquent aussi de se trouver entre deux feux dans les guerres que se livrent les clans. Le groupe Carrefour, qui a ouvert des succursales en Iran sous l’enseigne « Hyper Star », a été la cible d’une campagne des médias contrôlés par les Pasdaran qui accusaient Hyper Star d’être lié à Israël. Les Pasdaran réclamaient en fait leur part sur les bénéfices de cette chaîne de supermarchés.

Il y a un dernier problème. L’impopularité du pouvoir iranien fait qu’une trop grande proximité avec les entreprises du pouvoir peut s’avérer être un investissement risqué.

Pourquoi un livre sur Rohani ?

Une grande attention a été donnée en Occident à l’élection d’Hassan Rohani en juin 2013, et d’aucuns ont été enthousiasmés à l’idée qu’il pourrait incarner un Gorbatchev iranien, avec des promesses de réforme en Iran. Or, ce n’est pas la première fois que des dirigeants iraniens apparaissent sur la scène politique comme des « modérés » ou des « réformateurs » de le dernière chance, avec qui l’Iran pourra se lancer dans une ère de changement et d’ouverture.

Même à l’époque de Khomeiny, l’on pouvait entendre de telles promesses, sans que cela n’ait jamais abouti à un quelconque changement en Iran. L’objectif recherché par ces mises en scène à intervalles réguliers de « présidents modérés » (Rafsandjani, Khatami, Rohani), est d’induire la communauté internationale en, une erreur d’appréciation sur les perspectives du régime.

Cet enthousiasme infondé au sujet de l’élection de Rohani découle d’un manque de connaissance du véritable rôle que joue le président dans ce régime. J’ai donc voulu, à travers ce livre, apporter un éclairage à l’attention de l’opinion publique et des décideurs politiques sur la personne de Rohani et sa fonction au sein du pouvoir iranien. D’autant plus qu’au terme d’une fastidieuse période de négociations sur le programme nucléaire du régime, il a été question pour les responsables français et occidentaux de développer les contacts avec Rohani et son gouvernement. Malheureusement, beaucoup ont la mémoire courte et oublient les déceptions multiples que les dirigeants iraniens nous ont réservées chaque fois par le passé.

Quand vous dite dans votre livre que Rohani est un magicien, est-ce que vous entendez qu’il est un démagogue ?

Je voulais attirer l’attention notamment sur le fait qu’en Iran, la classe des mollahs est perçue par la population comme une gente sournoise et fourbe, de sorte que dans la culture populaire, les mollahs sont comparés au renard « hypocrite ».

À cet égard, Rohani correspond très bien à cette description. Son double langage, notamment lors des négociations sur le nucléaire au milieu des années 2000 quand il dirigeait personnellement ces négociations avec la troïka européenne, est un fait qui a été documenté. Alors qu’il prétendait négocier de bonne foi avec les occidentaux en suspendant les activités des centrifugeuses, en réalité, comme il l’a avoué plus tard dans ses mémoires, il cherchait à gagner du temps pour compléter d’autres parties plus importantes du programme nucléaire, tout en évitant les sanctions. Pour la communauté internationale, Rohani joue en fait un rôle d’anesthésiant et c’est pourquoi je l’appelle « le magicien ». Il cherche finalement à baisser la garde de la communauté internationale face aux dangers d’un État islamique iranienn et à son impact néfaste pour la région.

Rohani est-il un réformateur ?

Rohani n’est absolument pas un réformateur ; tout au plus, il pourrait être décrit comme un « conservateur pragmatique ». Sur certaines questions, notamment celles des femmes et des principes fondamentaux du pouvoir islamique (le principe du Guide Suprême religieux), Rohani devrait même être classé parmi les « ultra-conservateurs ». N’oublions pas qu’il a été pendant 16 ans à la tête du « Conseil suprême de la sécurité nationale », principale instance pour la défense et la sécurité du régime.

Dans la conjoncture actuelle, Rohani a saisi la gravité de la situation et a opté pour une position proche des réformistes. S’il est aujourd’hui enclin à dialoguer avec l’Occident, c’est parce que la République islamique traverse une période périlleuse, tant sur le plan économique que social et régional. Son objectif principal, c’est de maintenir en place le régime islamiste.

Qui décide aujourd’hui des directions stratégiques ?

Selon le système établi en Iran par l’ayatollah Khomeiny, le fondateur de la République Islamique, la constitution de la République Islamique octroie le pouvoir absolu à un « guide suprême religieux ». Dès lors, le régime iranien ne peut pas être qualifié de « république » à la tête de laquelle un « président élu au suffrage universel » applique la souveraineté du peuple. Il s’agit plutôt d’une « théocratie absolue» à la tête de laquelle règne « un guide suprême à vie », élu par un conseil des experts composés de mollahs. Le Guide domine les trois pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif.

Le président n’est qu’un exécutant au service de la volonté du Guide. Mais cependant, il faut rappeler qu’en raison des récents échecs successifs essuyés par Ali Khamenei, tant sur le plan intérieur que sur le plan régional, la position du Guide s’est considérablement affaiblie. En particulier à la suite de son recul sur le programme nucléaire militaire des Pasdaran, dont on avait fait une question de principe. Un « droit inaliénable » que les Pasdaran comptaient user pour compléter leur arme stratégique de chantage et asseoir leur domination dans la région. L’affaiblissement du Guide Suprême signifie l’affaiblissement du système tout entier, et un recul pour toutes les factions du pouvoir.

Est-ce que Rohani veut changer l’Iran mais y est impuissant ?

Si Rohani voulait réellement changer quelque chose en Iran, il aurait fallu qu’il insiste pour une réforme de la constitution et pour abolir le principe du guide suprême absolu. En outre, aucun changement n’aurait de sens dans ce pays sans une amélioration de la situation des droits de l’homme, qui est une des pires dans le monde, avec le nombre le plus élevé d’exécutions par habitant. Or, nous pouvons déplorer le fait qu’aucune action n’a été entreprise pour inverser la tendance dans ces domaines. Au contraire, Rohani a justifié à plusieurs occasions le nombre élevé des exécutions, qui sont selon lui conformes à « la loi ».

Dans une déclaration ahurissante, rapportée par une agence de presse officielle, il a affirmé : « Si quelqu’un est condamné à mort et se trouve devant la potence conformément à la loi, nous n’avons pas le droit de contester ». (Tasnim, le 19 avril 2014). Par ailleurs, il continue de soutenir la politique du Guide en Syrie, qui consiste en une intervention grandissante aux côtés de la dictature d’Assad pour la répression du peuple syrien.

Ce faisant, Rohani a montré que dans l’équilibre des forces à l’intérieur du régime, il n’a pas un réel pouvoir, ni la volonté de concrétiser la réforme dans le pays. Or, il saisit bien le danger qui menace le système s’il n’est pas réformé, mais il a en même temps assez d’expérience pour savoir que s’il y a de réelles réformes en Iran, les dirigeants iraniens risquent de subir le sort qui a été celui du shah d’Iran à la fin de son règne en 1979. C’est à la fois le paradoxe et l’impasse du régime du Guide suprême : toute réforme du système aboutit à la révolution. Tout relâchement de la répression aboutit à l’explosion de la rage populaire étouffée. C’est l’inéluctable destin qui guette le système des mollahs, et c’est la raison pour laquelle même les plus enclins aux réformes n’osent avancer sur ce terrain.

L’embourbement du conflit syrien et la rupture des relations avec l’Arabie Saoudite sont-ils des signes d’instabilité du régime?

On présente souvent les ingérences du régime iranien dans les affaires de la région comme un signe de puissance et de stabilité du régime, et l’émergence d’un pouvoir régional sur lequel il faut compter. Or, cette analyse occulte certaines réalités. En effet, il faut considérer que ces deux dernières années la position du régime iranien s’est considérablement affaiblie dans la région. Celui-ci mène, sur divers fronts, des guerres perdues d’avance. En Irak, sa position a été fortement fragilisée après que le premier ministre Nouri Maliki, inféodé à Téhéran, ait été évincé. Sous sa gouvernance, les milices chiites extrémistes affiliées à l’Iran avaient poussé les conflits confessionnels à leur paroxysme et ouvert la voie à l’émergence de Daech.

En Syrie, il apparaît de plus en plus que les immenses investissements de Téhéran pour sauver le régime de Bachar El-Assad sont peine perdue. L’envoi des Pasdaran, des milices du Hezbollah libanais, des chiites irakiens et d’autres mercenaires afghans et pakistanais n’ont pas suffi à venir à bout de la révolution syrienne. La position de Téhéran est d’autant plus fragilisée que les pertes iraniennes ne cessent d’augmenter, et la Syrie est en passe de devenir un bourbier pour Téhéran.

Après l’accord sur le nucléaire, d’aucuns avaient parié sur le fait que la politique iranienne irait vers l’apaisement et participerait à une politique plus constructive dans la région et au-delà. Or, force est de constater que par son arrogance et sa guerre de propagande contre les pays arabes de la région, le régime iranien est de plus en plus perçu par ces derniers comme une source de conflits et d’instabilité. Une situation qui ajoute à l’isolement du régime.

Que faut-il attendre de la visite d’Hassan Rohani en France ?

À la lumière du tableau que nous avons brossé, la visite du président Rohani en France intervient dans un contexte extrêmement négatif pour le régime. Sur le plan économique, il est très affaibli ; sur le plan social la situation est explosive et les prochaines élections législatives et du Conseil des Experts présagent des eaux troubles pour le régime. Par conséquent, au regard de ces réalités, la France est en position d’arracher davantage de concessions de la part d’un régime affaibli, sans devoir rien concéder.

Avant tout, la France doit user de sa position morale pour exiger de Rohani qu’il lâche du lest dans le domaine des pendaisons et des violations des droits de l’homme s’il veut que son régime devienne fréquentable. Elle doit également exiger la fin de la politique interventionniste de l’Iran dans la région. En continuant sa politique déstabilisatrice dans la région, ce régime ne peut certainement pas être un allié fiable dans la lutte contre Daech et pour la construction de la paix dans la région. Au contraire, il fragilisera le front uni que la France a appelé de tous ses vœux.

 

 

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