AFP, Téhéran, 25 juin – Par Stefan SMITH – Akbar Hachémi Rafsandjani, 70 ans, s’était présenté à la présidentielle comme on se résigne à boire « une potion amère » mais ce pilier du régime iranien depuis la Révolution islamique n’imaginait pas goûter à la déroute au crépuscule d’une carrière qui l’a couvert de tous les honneurs.
Comment ce révolutionnaire historique, compagnon de l’imam Khomeiny, chef des armées durant la guerre contre l’Irak, président reconstructeur, « faiseur de rois », pouvait-il envisager la défaite face à un quasi-inconnu qui se décrit comme le « balayeur des rues de la nation iranienne », l’ultra-conservateur maire de Téhéran Mahmoud Ahmadinejad?
Quand, après avoir beaucoup hésité, il annonce le 10 mai qu’il brigue la présidence, M. Rafsandjani explique que l’incompétence supposée des candidats déclarés a emporté sa décision.
Par son expérience, son influence, son habileté, lui seul serait capable de redresser l’économie comme il a reconstruit le pays après la guerre lors de son premier passage à la présidence (1989-97); lui seul serait en mesure de renouer avec les Etats-Unis des relations rompues depuis un quart de siècle.
Nul besoin de faire campagne. Le seul débat qui vaille est de savoir s’il devra ou non livrer un second tour.
Il se contente d’apparaître à la télévision, ôtant son turban ou discourant de mode et de sexe avec des jeunes. Histoire de convaincre que malgré son âge, il est un homme moderne qui ne remettra pas en cause la libéralisation sociale des années Khatami. Mais l’image choque la partie de la population attachée aux valeurs révolutionnaires et islamiques.
M. Rafsandjani doit se défendre sur la fortune qu’on lui prête. Son image de potentat tranche avec l’humilité ostentatoire qui est pour beaucoup dans la popularité de son concurrent inattendu du second tour, M. Ahmadinejad.
« Les biens que je possède aujourd’hui ne valent même pas la valeur de la maison que je possédais avant la Révolution », dit-il. Mais quand son adversaire s’en prend aux « familles qui contrôlent le pétrole », tout le monde comprend. Car les Rafsandjani auraient de gros intérêts dans l’industrie pétrolière.
Celui qui passait pour le n2 de la République islamique derrière le Guide Ali Khamenei doit endosser le rôle du faire-valoir dans le choix offert aux Iraniens: « Pour ou contre Ahmadinejad ».
Il se résout enfin à descendre dans l’arène, tente de se donner un rôle de « père de la nation », dénonce la fraude, appelle à une « coalition nationale », explique que face à « l’extrémisme », il représente la « modération ».
Il va dans un amphithéâtre promettre la poursuite des réformes à des étudiants qui, il y a un an encore, le surnommaient « Pinochet ». Sans réaction, il doit les écouter scander le nom d’Akbar Ganji, emprisonné pour des écrits hostiles au régime, et à M. Rafsandjani lui-même.
Tous n’ont pas oublié qu’il a participé à l’élimination des libéraux et des gauchistes au début de la République.
Trois jours avant le scrutin, lors d’un meeting dans un quartier populaire du sud de Téhéran, une vieille femme monte à la tribune et lui ôte son turban devant l’assemblée hilare. A la sortie, beaucoup expliquent qu’ils voteront Ahmadinejad. Deux avant-goûts de l’humiliation qui l’attend.
Dans une fuite en avant désespérée, quelques heures avant la clôture de la campagne, il promet aux Iraniens une manne de milliards de dollars, une assurance-chômage, une sécurité sociale pour tous…
Mais quand il vote vendredi dans un quartier réservé aux dignitaires du régime, M. Rafsandjani, visage toujours imperturbable, se demande peut-être s’il ne vit pas les derniers instants d’une carrière politique entamée en 1963 au moment de l’arrestation par la police du Chah de Khomeiny à Qom (centre), où cet adolescent du sud, près de Rafsandjan, étudie la théologie.
Arrêté, blessé d’une balle dans le ventre dans un attentat, M. Rafsandjani avait été jusqu’à vendredi largement payé de retour par la Révolution. Mais lui estimait devoir ériger son propre mémorial.
Sa présidence avait été marquée par la reconstruction et l’ouverture à l’étranger, mais aussi les violations des droits de l’Homme, une inflation et un endettement énormes, les tentatives avortées de rapprochement avec les Etats-Unis. C’est ce travail qu’il voulait finir. Les Iraniens ne le lui ont pas permis.
Rafsandjani absorbe la « potion amère » de l’humiliation
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