The Daily Telegraph, 10 mai – De Simon Scott Plumme – Dans le conflit avec lIran concernant larme nucléaire, on parle beaucoup des dangers auxquels lOccident ferait face en imposant des sanctions contre le régime, ne parlons même pas du cas où il lattaquerait militairement. Les héritiers de layatollah Khomeini ont le bras long, comme le prouvent les assassinats dopposants politiques exilés en Europe ou lattentat à la voiture piégée contre un centre culturel juif en Argentine.
Plus près de chez eux, ils soutiennent des groupes terroristes tels que le Hezbollah, le Hamas et le Djihad islamique et sont bien placés pour provoquer le chaos en Irak. Faire passer la crise au-delà des mots à une action punitive nous ferait aller au devant de graves risques.
Cependant, afin dévaluer ces risques, examinons lattention insuffisante accordée aux point faibles fondamentaux de lennemi. Le premier est idéologique. Dans les 27 années qui ont suivi la Révolution islamique, lIran est revenu à son point de départ. La ferveur religieuse de Khomeini a cédé la place au pragmatisme économique de Rafsandjani, auquel a succédé à son tour la libéralisation modérée sous Khatami.
Mahmoud Ahmadinejad, qui est devenu président en août dernier, tente de revenir en 1979 tandis que le fanatisme des ayatollahs perd de son crédit et que la population, dont les deux tiers sont nés après la révolution, méprise ses dirigeants pour leur oppression, leur corruption et leur incompétence.
Le deuxième point faible concerne la légitimité politique. La perte de confiance dans la révolution remet en question le système de velayat-e faqih, ou de tutelle de la loi religieuse, par laquelle le pouvoir ultime ne revient pas à des représentants élus, mais au clergé. La prédominance des mollahs compromet sérieusement la démocratie en Iran. Par exemple, lors des élections parlementaires de 2004, le Conseil des gardiens, un organe dont les membres sont nommés par des religieux, a interdit à près de 2500 candidats réformistes de se présenter. Un an plus tard, le second tour du scrutin présidentiel a été gâché par des accusations généralisées de fraude.
Le troisième point faible, caché par les revenus du pétrole qui ont pratiquement doublé ces deux dernières années, est économique. La révolution na pas permis à la population majoritairement jeune de trouver du travail ; le chômage tourne autour de 30 pourcent. Le régime saccroche à un modèle dépassé de substitution des importations par lindustrialisation, et il y a des chances pour que la situation aille de mal en pis sous Ahmadinejad. Les membres du parlement soi-disant malléables critiquent le budget actuel, avançant quil pourrait provoquer une hausse de linflation, du chômage et un ralentissement de la croissance.
Le discours de défi des dirigeants iraniens cache en fait une fragilité comportant différents aspects. Patrick Clawson, du Washington Institute for Near East Policy, compare le régime à un vase en équilibre sur une cheminée. Que faire alors ? le faire basculer ?
La réponse évidente vient de lintérieur et là il serait bon découter une voix courageuse de lopposition forcée récemment à quitter le pays. Dans un entretien téléphonique avec moi-même avant son exil, Amir Abbas Fakhravar a déclaré que le renvoi du dossier nucléaire de lIran devant le Conseil de Sécurité de lONU avait provoqué des manifestations de joie dans les rues de la capitale et dans dautres grandes villes. De plus, la police anti-émeute na pas osé intervenir. La haine quinspire le régime, a affirmé M. Fakhravar, est telle que les gens sont prêts à faire face à des sanctions économiques, dont un embargo sur le pétrole et même des frappes militaires, si tout ceci pouvait mener à sa chute.
Lorsquon lui a demandé comment cela pouvait se produire, il a répondu quil nexistait encore aucun leader dissident dans le pays. Cependant, il a évoqué lexistence dun mouvement étudiant clandestin bien organisé et laugmentation du nombre de grèves et de manifestations contre le gouvernement.
M. Abbas, 30 ans, a été condamné à huit ans de prison en 2002 pour avoir diffamé le gouvernement clérical suprême dans son livre Inja Chah Nist. Lannée dernière, il a été autorisé à sortir de prison afin de passer un examen universitaire. Il a fui et sest réfugié récemment dans un pays arabe voisin.
Son rapport sur la situation interne en Iran attire lattention sur le fait quaugmenter le financement étranger pour la propagande est bénéfique. Il a affirmé que les 75 millions de dollars supplémentaires demandés par ladministration Bush au Congrès à cette fin pourrait être dépensés dans la création dune chaîne télévisée dans un pays voisin. Cette somme pourrait aussi être utilisée pour aider les jeunes Iraniens à comprendre les principes de la démocratie.
Ceci ciblerait les points faibles idéologiques et politiques de la mollahcratie. Quant à léconomie, lappel dAhmadinejad en octobre dernier à la destruction dIsraël a déjà provoqué la fuite des investisseurs privés du marché boursier de Téhéran et le découragement des investisseurs étrangers alors que la situation politique demeure aussi instable. Même si la Russie et la Chine font barrage à des sanctions de lONU, lIran serait tout de même touché dans le cas où lUE et le Japon se joignaient à lAmérique pour appliquer celles-ci ; cette vulnérabilité explique la véhémence de sa réaction.
Par contre, des frappes militaires auraient probablement pour effet de rallier le peuple au gouvernement, qui jouerait sur lidée que tous les malheurs du pays sont le résultat dune conspiration étrangère.
LAmérique et ses alliés font face à un combat long et difficile en empêchant lémergence dun Iran islamiste armé de la bombe nucléaire. Mais dans cet objectif, ils doivent regarder derrière le discours nationaliste agressif du régime et prêter attention aux fondations fragiles sur lesquelles il repose.
Eliminer la menace que représente lIran dans le Golfe et au-delà nécessite lusage dun scalpel plutôt que dun gourdin, une série de réponses progressives qui nous mènerait au-delà de 2008 sous une nouvelle présidence américaine.
Il est donc essentiel de travailler autant que possible avec lopposition interne, ce que lIrak aurait dû nous enseigner. Comme nous le rappelle M. Fakhravar, le terrain est fertile. La révolution a échoué. Le vase de Dr Clawson est en train de vaciller.