The Washington Times, 9 juin – De Ilan Berman – Nous nous devons de reconnaître la cohérence de la communauté du renseignement. Mais lorsquil sagit de lIran, plus il y a de changements, plus ils restent les mêmes.
Lété dernier, dans un rapport officiel National Intelligence Estimate généralement considéré comme un permis pour une diplomatie menée par lEurope avec les ayatollahs dIran, la CIA a estimé que la République islamique était à une décennie entière dobtenir la bombe nucléaire. Dix mois plus tard, peu de choses ont changé. « Nous ne savons rien de manière certaine, mais les informations dont nous disposons indiquent que lIran serait en position dobtenir larme nucléaire dici le début ou le milieu de la prochaine décennie », a récemment déclaré à la BBC John Negroponte, chef du renseignement de ladministration Bush.
Les estimations de M. Negroponte sont surprenantes, étant donné les progrès majeurs réalisés par lIran dans son programme nucléaire lannée dernière. Le a également le potentiel dêtre absolument dangereux ; si les Etats-Unis se trompent sur lévolution des progrès nucléaires de lIran, les résultats pourraient être catastrophiques, allant dune course à larmement nucléaire au Moyen Orient à une frappe militaire israélienne unilatérale contre la République islamique.
En effet, lorsquil sagit de la question de la bombe iranienne, le contexte fait tout. Techniquement, lestimation de cinq à dix ans de la communauté du renseignement est peut-être correcte. Mais cette unité de mesure est complètement inexacte sur au moins deux points.
Le premier est la vitesse dacquisition par lIran de cette nouvelle capacité. Les estimations de la communauté du renseignement sur le moment où lIran deviendra « nucléaire » sont directement liées à la sophistication des processus nucléaires internes du pays. Mais les armes nucléaires ne sont pas forcément fabriquées dans le pays. Depuis des années, lIran est engagé dans un effort agressif dacquisition de matériel sur le marché noir nucléaire florissant qui sest développé sur le territoire de lancienne Union Soviétique. Et, selon un rapport détaillé sur lestimation de la menace fait par les agences de renseignement belges, britanniques, françaises et allemandes lannée dernière, lIran fouille toujours activement lEurope de lEst et lespace post-soviétique à la recherche déquipements et dexpertise sur les armes de destruction massive. Sil a réussi même en partie à se procurer lun des deux, Téhéran a déjà réduit considérablement la durée qui le sépare de la bombe nucléaire.
Le second problème concerne la contribution internationale. Ces deux dernières décennies, un certain nombre de nations (parmi elles la Russie, la Chine et la Corée du nord) ont fourni une aide significative à leffort atomique iranien, et ce type de coopération nest pas uniquement un fait passé. En décembre dernier seulement, ladministration Bush a imposé des sanctions à neuf différentes entités chinoises, indiennes et autrichiennes pour avoir transféré de la technologie interdite à Téhéran. Les experts pensent également que la République islamique pourrait toujours coopérer avec certains survivants du cartel darmes de destruction massive mené autrefois par le scientifique nucléaire pakistanais Abdul Qadeer Khan ou avec des réseaux de prolifération de substitution qui se seraient développés pour le remplacer. Avec ce type daide extérieure, Téhéran pourrait rapidement surmonter les obstacles technologiques restants dans sa quête de la bombe.
Etant donné ces variables, faire des paris précisément au moment où lIran va franchir le seuil du nucléaire a toutes les chances dêtre une science inexacte, et il est loin dêtre certain que le renseignement américain soit à la hauteur de la tâche. Après tout, la communauté du renseignement américain nest parvenue à prévoir aucun des incidents internationaux majeurs relatifs aux armes nucléaires de cette dernière décennie : le lancement en 1998 par la Corée du Nord de son missile intercontinental balistique Taepo-Dong sur le Japon, la double nucléarisation de lInde et du Pakistan la même année et le conflit nucléaire avec la Corée du Nord qui a suivi en octobre 2002. Il ny a aucune raison de penser que sagissant de la bombe iranienne, le renseignement américain fera mieux.
En effet, si lon en croit lhistoire récente, les lacunes dans nos connaissances sur les ambitions atomiques de lIran sont très probablement flagrantes. En dépit des estimations de la CIA, la prudence dicte à Washington de définir sa stratégie envers lIran en fonction.
Ilan Berman est vice-président pour la politique du Conseil américain de la Politique étrangère.