Le Figaro: Par Adrien Jaulmes- Lors des précédentes législatives en 2005, leur vote avait permis une révolution : l’Irak était devenu le premier pays du monde arabe dominé par les chiites. Le spectre d’un nouvel État islamique chiite du type iranien commençait à inquiéter les pays voisins.
Cinq ans plus tard, le vote religieux chiite a perdu de son allant. La communauté, majoritaire en Irak, domine toujours numériquement le jeu politique, mais ne forme plus un seul bloc. La ¬grande coalition de 2005 a éclaté. Nouri al-Maliki, premier ministre sortant, a formé sa propre liste. Ses anciens alliés, Ibrahim al-Jaafari et Amar al-Hakim, se sont ¬alliés à Moqtada al-Sadr, le héros de la rue chiite.
Mais leur liste n° 316 (chaque liste irakienne a reçu un numéro pris au hasard), n’arrive qu’en troisième position dans les sondages, derrière celles de Maliki et d’Iyad Allaoui, son rival laïc et nationaliste. En partie discrédités par l’exercice du pouvoir, les religieux chiites ont perdu leur aura d’infaillibilité. «Même leurs électeurs ont compris qui étaient vraiment ces religieux», ironise Ahmed al-Kaissi, originaire d’un quartier voisin, «ils parlent de Dieu et de l’Imam caché, mais en fait ils ne s’intéressent qu’au pétrole et au pouvoir».
La révolution islamique irakienne n’a pas eu lieu, et le recul politique des mollahs a déjà commencé. L’un des responsables de ce phénomène est lui-même, paradoxalement, un religieux, le plus respecté.
«Sistani est un vrai patriote»
Le grand ayatollah Ali al-Sistani, devenu depuis l’assassinat du père de Moqtada al-Sadr en 1999, le seul et unique marja (source d’imitation) irakien, a usé de son influence pour guider l’Irak vers un système démocratique. D’origine iranienne, ce personnage énigmatique ne communique avec le monde extérieur que par de rares ¬messages depuis sa maison du vieux ¬Nadjaf. Il défend une doctrine radicalement inverse de celle de l’ayatollah Khomeyni, qui professait au moment de la révolution iranienne de 1979 le Wilayat al-Fakih, le «règne du théologien», où les religieux (à commencer par lui-même) devaient exercer directement le pouvoir.
Après avoir exigé des Américains l’organisation d’élections législatives et un référendum constitutionnel, Sistani a uvré discrètement mais opiniâtrement en faveur d’une démocratie parlementaire et pluraliste. Il a en revanche toujours refusé de s’impliquer personnellement dans le jeu politique. Tout comme d’apporter son soutien officiel à qui que ce soit, même à la liste 316 qui se réclame de lui.
«Ali al-Sistani est un vrai patriote irakien, malgré ses origines , reconnaît le Dr Qadim al-Mokdadi, analyste politique de la télévision Bagdadiya, il a suivi une politique très claire depuis l’invasion américaine de 2003. La religion, très respectée par tout le monde en Irak, ne doit pas se mêler de politique. Et cette idée est en train de faire son chemin »